vendredi 2 novembre 2012

Humour, maladresses et beauferies

Lundi dernier, de retour en France après un séjour mi-professionnel mi personnel, j'ai découvert, avec un peu de retard, la "petite phrase" de Stéphane Le Foll :
"J'ai tenté de promouvoir des femmes au maximum, bien que nos dossiers soient très techniques"
Après tout ce que j'ai pu entendre personnellement, ça ne m'étonne même plus, ce genre de phrase. Ca m'a plutôt fait rigoler de voir un homme politique sortir une ânerie aussi énorme (oui, une femme peut aborder des dossiers techniques, si le message d'Hypathie ne suffit pas je peux prendre M. Le Foll en stage dans mon labo) sans sourciller. Et puis voir les médias s'enflammer pour une petite phrase, découvrant avec stupeur qu'il y a du sexisme en France, c'est toujours un grand moment.

J'ai aussi trouvé dans ma liste de messages de blogs en retard une dénonciation d'une publicité pour le forum du handicap de Besançon. Message transmis : femme, même handicapée, tu resteras un objet sexuel. C'est une beauferie de plus, financée par des fonds publics baillés par des machos qui sans doute croyaient bien faire en montrant qu'une femme, même handicapée, peut rester digne. Cette vision de la dignité des femmes n'est pas neuve : je me rappelle avoir déjà râlé sur ce sujet il y a quelques années.

Et me voilà hier matin, terminant ma grasse matinée devant Twitter en ricanant dans mon café froid, regardant les tweets s'enchaîner à propos de la dernière pub pour une Playstation portable. Je pense qu'ils voulaient faire de l'humour, ou même faire du buzz sur le dos des féministes. Après tout, le feminist-bashing marche bien chez les gamers.
Est-il pertinent de rentrer dans le jeu et de leur faire de la pub ? Je pense que oui. Je pense que la plupart des gens ne voient pas ce qu'il y a de choquant dans cette pub, qu'elle sera taxée de beauferie ou d'humour lourdingue, mais pas de violence. Il nous appartient, hélas, de rappeler que considérer que le corps féminin est un jouet, que présenter les nichons comme un jeu à disposition des hommes pour les amuser est une violence. Notre corps n'est pas un vêtement qu'on porte, qu'on peut ajuster, prêter, louer ; notre corps, c'est nous.

Ces pubs et ces petites phrases ne sont que des beauferies qui ne méritent que notre mépris. Il y a bien plus urgent : la lutte contre les violences conjugales (des nouvelles statistiques viennent de sortir, c'est toujours pas glorieux), contre les viols (il parait que c'est pas grave !), contre les trafics de femmes et de filles qui nourrissent le système prostitutionnel, contre les mutilations génitales qui continuent, contre les mariages forcés, contre les inégalités salariales qui maintiennent les femmes dans la misère, contre la répartition du travail domestique qui maintient les femmes en position d'esclaves (Noël approche, c'est parti pour la foire aux catalogues de jouets foireux !)...

Mais mes lecteurs fidèles (salut Papa, salut Maman !) savent que je ne pense en aucun cas que ces effets anodins du sexisme sont à taire, même s'il y a urgence et atrocité par ailleurs. Ces petites phrases, ces petites blagues, ou ces pubs qui se veulent canaillement drôles ne sont pas anodines.
J'aime particulièrement le terme de "sexisme ordinaire" couramment utiliser pour désigner ce type d'effets. C'est ordinaire, car banal, fréquent, pas original. C'est cette soupe insipide qu'on nous sert tous les jours, qui ne nous tuera pas mais qui nous mine peu à peu, sape nos forces et notre moral.

Voilà une bonne lapalissade : le sexisme ordinaire, c'est du sexisme.
Et le sexisme est une maladie sociale.
C'est une maladie qu'on détecte grâce à des symptômes. Il y a les symptômes, graves, évidents, qu'on cherche à soigner en priorité : meurtres de femmes, viols, violences sexistes... Il y a aussi les symptômes moins graves mais qui peuvent dégénérer : une femme payée moins qu'un collègue, une épouse insultée... Il y a enfin les symptômes ordinaires, qui passent facilement inaperçus : une vanne, une remarque désobligeante. Ce sont les symptômes de la même maladie.
C'est une maladie qui se transmet de génération en génération. L'éducation qu'on donne à nos enfants, les préjugés qu'on leur transmet, la culture véhiculant les stéréotypes et l'exemple qu'on leur donne sont autant de vecteurs de transmission qui ne sont actuellement pas soumis à une quelconque prophylaxie.
C'est enfin une maladie qui a une cause. Tous les symptômes du sexisme, du plus ordinaire au plus dramatique, sont causés par cette croyance en une nature différente des hommes et des femmes. Parce que nous, femmes, sommes considérées comme des incubateurs sur pattes prenant notre pied en faisant plaisir aux mâles pour qu'ils nous inséminent et sécurisent le foyer, on a le droit de nous présenter comme des objets manipulables dans des pubs à la con, on a le droit de nous faire croire que la normalité, c'est la séduction, on a le droit de dire que nous sommes incapables de raisonner. On a aussi le droit de nous payer moins parce qu'on raisonne mal, on a le droit de nous taper dessus parce qu'on est trop connes pour comprendre les choses autrement et parce qu'on doit tout accepter du mâle en échange de sa protection (le pauvre !),on a le droit de nous violer parce qu'au fond on n'attend que ça...

Humour, maladresses et beauferies ne sont que des âneries pitoyables. Mais remis dans le contexte d'une société où la violence contre les femmes fait des ravages, ils deviennent les signes visibles d'une société infectée par la haine envers la moitié de l'humanité.


Illustrations :
Des mèmes que j'ai réalisés sur quickmeme.com. Vous pouvez les diffuser, c'est cadeau, ça me fait plaisir.


21 commentaires:

  1. Pour la pub playstation, je dirai que c'est vous qui êtes inconsciemment sexiste.
    Les femmes prennent aussi du plaisir quand on leur touche les seins. L'affirmation du plaisir sexuel est plutôt quelque chose qui libère les femmes.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, ça c'est clair que l'affirmation du plaisir est libérateur. Mais là, dans cette pub, il n'est pas question du plaisir des femmes... Il n'est question que du plaisir du joueur, via un parallèle entre la console (un objet, un truc dont on se sert pour son plaisir, disponible à volonté) et le corps d'une femme.

      Supprimer
    2. "Les femmes prennent aussi du plaisir quand on leur touche les seins. L'affirmation du plaisir sexuel est plutôt quelque chose qui libère les femmes."

      "Les" femmes ?! Il serait peut-être indiqué d'éviter les remarques sexistes quand on compte dénoncer celui que l'on voit chez les autres : "certaines femmes" serait donc plus proche de la réalité, par exemple.

      Supprimer
    3. Bien sûr que les femmes prennent du plaisir, surtout quand elles sont en plastique, et décapitées.

      Excellent billet, tristement nécessaire.
      (Mais il y a un petit quelque chose qui cloche dans la phrase "Ces pubs et ces petites phrases ne sont que des beauferies ne qui méritent que notre mépris" ;)

      Supprimer
    4. @ Anonyme : j'aurais dû tilter... Je connais des femmes qui détestent qu'on leur touche la poitrine !

      @ casthel : Merci ! Je vais corriger la phrase (j'ai mis un temps honteux à comprendre ce qui clochait d'ailleurs !)

      Supprimer
  2. Je suis d'accord avec Foisse, c'est Kalista qui est sexiste et je dirais même qu'elle fait partie de ces puritaines cathos obsédées par le sexe.

    La pub de Sony était très valorisante pour les femmes et d'ailleurs elle s'adressait aux femmes, les hommes en sont absents. Si la tête de la femme a été tronquée, ce n'est pas pour objectiver le corps mais pour permettre à toutes les femmes de mettre leur tête à la place et de s'identifier à la sculturale femme dont les capacités sont décuplées (d'où les 4 seins, ben oui madame). Et enfin, si objet sexuel il y a, c'est plutôt le pénis de l'homme car les harceleurs ont souvent tendance à comparer leur pénis à un joystick dans leurs blagues hilarantes.

    Donc je m'inscris en faux contre cette pub qui se rit de la dignité des mâles.


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pardon maîtresse Diké, pardon pardon pour mon inconsciente partialité ! :-D
      J'aurais dû reconnaître dans cette pub un hommage à la féminité hérité de l'Artémis d'Ephèse... Merci de me remettre dans le droit chemin.

      Supprimer
  3. Et si la tête de Marie-Antonette a été tronquée, c'est sans doute aussi pour permettre à toutes les Françaises de s'y identifier...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. non, là c'est un cas particulier : c'est parce que vraiment elle disait trop de conneries...

      nan mais oui hein, là je dois dire que le coup de la tête tronquée sur la pub pour que toutes les femmes puissent "s'y identifier" c'est très fort hein. même quand je suis très en forme pour faire de la provocation, je pense pas que j'y aurais pensé... bref... bon... moi de toute façon je trouve que les jeux électroniques vidéo c'est malsain et que ça devrait être purement interdit, comme d'ailleurs l'écrasante majorité de produits et de services du système capitaliste... mais bon, je pense que la dualité dictature/démocratie peut être parfaitement dépassée du fait même que les deux terme n'en font qu'un et qu'à la base tout vient de cette obscession de la division des rôles et des attribut selon le sexe et de la sexualisation de tout objet...

      alors y'a aussi le trucs de dire là que l'affirmation du plaisir... non mais attends... la polysémie et la pente savonnée... jamais ?

      nan sans dec

      moi sur mon blog y'a bien indiqué que j'étais stalinien et que les commentaires ne sont publiés que selon mon humeur lors de la rédaction et uniquement s'ils ne sont pas jugés totalement décapitables...

      bref

      des fois...

      Supprimer
    2. @ Martin : J'aurais dit que c'était par humanité : son mari mort, qui pouvait survenir à ses besoins ?

      @ Paul : je ne filtre que les insultes. J'ai toujours l'espoir de pouvoir dialoguer avec les gens polis. Sinon, ben on aura bien joué avec un troll.

      Supprimer
  4. Merci Kalista pour le lien ! Ben dis donc, tu es envahie de fanatiques de playstation qui, bien entendu, en tant que fans sans cervelle, ne supportent pas qu'on critique leur joujou de quelque façon que ce soit.
    J'ai déjà remarqué ça chez moi un jour que j'ai eu l'audace de mettre en cause ces jeux mortifères de l'intellect au sujet de la banalisation de la violence. Et sur le blog de "Genre !" ça a cartonné sévère quand il a été question de l'apologie du viol via les jeux vidéos. Ces jeux sont non seulement véhiculaires d'une idéologie sexiste bien grasse mais fabriquent des sortes de zombies addicts prêts à en découdre avec les plus timides adversaires de leur chère drogue dont ils ne peuvent absolument plus se passer.
    Mais il n'y a pas moyen de retirer ses saloperies du marché parce qu'un lobby gigantesque empêche toute limitation de ce business d'autant plus lucratif que l'addiction du client est forte.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, envahie, je dirais pas ça, il y a un type qui a commenté, et c'est tout. Je m'attendais à pire.
      Je me fais copieusement insulter sur un forum d'informaticiens où quelqu'un a publié un lien vers ici (avec des commentaires qui me font chaud au cœur), mais les insultes ne sont que les sursauts de gamins paniqués à l'idée de voir la centre du monde s'éloigner de leur phallus. Quand ils viendront avec des arguments, on verra.

      Oui, les jeux vidéos tels qu'ils sont faits et consommés aujourd'hui sont une catastrophe sociale ! J'aime jouer à certains jeux créatifs, mais ils sont rares. Et l'addiction vient vite : je me transforme en zombie en quelques heures. Ils nous vendent ça comme un produit culturel, mais c'est une drogue. Et comme en plus c'est un média de divertissement, on retrouve toutes les saloperies sexistes possibles et imaginables dedans.

      Supprimer
    2. Vous savez quoi ? Il existe des "fans de playstation" ou de jeux vidéo qui peuvent être intelligents et féministes, et ne sont pas des zombies. Si si, je vous jure, ça existe. J'en ai rencontré.

      Qui sait ? C'est peut-être lié au fait qu'il existe des jeux vidéo beaux, intelligents et originaux.
      :)

      Supprimer
    3. Ben, c'est comme tout. La plupart des émissions de télé sont débiles, mais il y en a des bien aussi. Donc tu peux regarder la télé sans être un-e crétin-e décérébré-e.
      C'est malheureusement pas la majorité des cas, mais bon, ça veut dire qu'il ne faut pas tout jeter.

      Supprimer
    4. Tiens, je viens de lire ça et j'ai pensé à toi Casthel !
      http://playtime.blog.lemonde.fr/2012/11/07/larlesienne-du-jeu-video-pour-fille/

      Supprimer
    5. Merci pour l'article :)

      Il y a également pleeeeein de livres, pour adultes ou enfants, qui perpétuent les clichés sexistes (entre autres), notamment à coup de girly et de chick-lit. Pourtant, à ma connaissance, être un/e grand/e lecteur/trice ne transforme pas nécessairement en zombie décérébré/e. Il me paraît absurde de confondre le medium et son message.

      Supprimer
    6. Oui, tous les médias sont touchés mais les jeux vidéos semblent particulièrement infectés par le sexisme. Il serait intéressant de pouvoir confirmer objectivement cette observation et si c'est avéré, pourquoi cette particularité.

      Supprimer
    7. Je suis plutôt d'accord, mais il me paraissait dommage de vouloir combattre des stéréotypes en brandissant d'autres clichés — les gamers-fanatiques-sans-cervelle-drogués-zombifiés.

      Supprimer
  5. Ca va faire un peu snob de dire ça mais je pense que les jeux vidéo c'est comme un nanar versus un film d'auteur.
    Beaucoup de personnes jouent à des jeux violents (je me suis fait des supers parties sur streetfighter avec des amiEs), regardent des nanars en se positionnant dans le second degré en ayant les ressources intellectuelles pour s'en démarquer. Et en bien-pensant, vont balayer les critiques puisque comme eux ils arrivent à voir le second degré, ils ne peuvent admettre que cela créé un climat délétère, eux n'étant pas influencés en toute conscience.
    Mais le problème c'est ceux qui n'arrivent pas à se positionner en dehors.

    Une fois, j'étais au resto avec des amis, et j'ai dit la phrase d'un ton ironique "vous me connaissez je suis une femme battue" pour souligner le contraire et tout le monde a explosé de rire. Sauf que bien que nous étions dans une conversation privée et que j'étais avec des personnes qui savaient que je n'étais pas une femme battue, nous étions au restaurant et j'ai croisé le regard de 2 femmes à côté mi-choquée-mi-apeurée. J'ai compris que ce sujet en particulier les blessait. J'ai utilisé le second degré sur un crime dans un espace public, alors qu'il y avait potentiellement des personnes que cela blesseraient ou que cela conforteraient. Personnellement je m'abstiendrai dorénavant.
    On peut hurler à la liberté d'expression et à l'humour(sauf quand une féministe fait une sortie supposée misandre là on hurle à la castration) , mais ce qui es terrible à dire c'est que je crois que les gens seraient plus choqués sur des blagues morbides sur les animaux que sur les femmes ou sur des minorités.

    Donc non ne pas prendre pour soi les débats pédagogiques sur les jeux vidéos. Ayons le snobisme de se dire que des personnes peuvent être influencées et l'humilité de se dire qu'on peut être influencer malgré nous aussi (tout le monde se souvient de la phrase insultante que leur a fait le prof en 6ième et qui les a dégouté des math/langues/français mais à part ça les enfants ne sont pas du tout influencés par les catalogues de jouets n'est ce pas?)

    RépondreSupprimer
  6. Je trouve la comparaison de cashtel inappropriée du fait que les jeux vidéos à la différence des autres médias sont interactifs. On y "tue" virtuellement, par exemple.
    Lire et regarder des images, ce sont des "gestes" totalement passifs. On n'est pas impliqué.
    Par exemple, si on fait lire des romans d'aventure à des enfants dans lesquels les garçons tuent les méchants et les filles attendent passivement le retour de leurs princes, cela ne va pas rendre agressif l'enfant. Le jeu vidéo qui demande d'agir pour qu'il se passe quelque chose est un tout autre concept. Les enfants n'en ressortent pas indemnes.

    RépondreSupprimer
  7. Cela dit, Ok, ils ne ressortent pas non plus indemnes des autres matraquages sexistes mais c'est moins voyant :)

    (J'ai vu l'effet que ces jeux où on se démolit lag' par personnage interposé sur un écran a eu pour effet sur ma fille âgée alors de 9 ans....euh...c'est juste terrifiant !).

    RépondreSupprimer

Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.