dimanche 16 septembre 2012

Le choeur des femmes

Mon dernier billet, à propos de la psychanalyse, a eu un certain succès (merci à tous ceux qui l'ont gentiment partagé sur Facebook). Le hasard veut que l'article suivant dans ma liste de brouillons à publier concerne encore des soignants peu respectueux... On ne peut pas dire que j'aime particulièrement taper sur le corps médical (j'ai croisé des sacrés couillons qui ont fait de gros dégâts dans ma vie et celle de mes proches, mais aussi des anges, dont pas de généralité !), ni sur une catégorie socio-professionnelle quelconque : c'est un véritable hasard.
Il y a quelque temps, j'étais dans le RER, assommée après ma semaine de rentrée passée à courir pour emmener les mômes chez la nounou puis à l'école avant de sauter dans les transports pour aller donner mon cours à des étudiants que je ne connaissais pas encore (quel stress, mine de rien), le sac lesté de publications scientifiques que je devrais étudier au lieu de lire des romans.Comme tous les jours, remettant à plus tard mon étude bibliographique du courant électrique dans les hétérojonctions, j'ai ouvert  Le Choeur des Femmes de Martin Winckler, me promettant de bosser quand je serais plus reposée. Et j'ai tourné les pages, happée comme un électron dans la base d'un transistor bipolaire par un récit merveilleusement écrit qui est immédiatement entré en résonance avec mon propre ressenti.

Jean Atwood est interne à l'hôpital de Tourmans, envisageant de se spécialiser en chirurgie réparatoire des organes génitaux. On lui impose d'effectuer un stage de 6 mois dans le service de médecine de la femme (MLF - ça annonce la couleur) de l'unité 77 tenue par Franz Karma. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les méthodes peu orthodoxe et cependant plus humaines de Karma vont décontenancer notre jeune médecin...

J'ai moyennement apprécié l'histoire tournant autour d'Atwood, avec ses retournements de situation prévisibles. Son adaptation aux méthodes de Karma m'a paru artificiellement rapide. La description des actes gynécologiques, les récits des consultations, les témoignages des patientes, en revanche, m'ont profondément émue. Là, rien d'artificiel, rien de truqué, pas de manipulation littéraire, ce n'est que du vrai, c'est la vie, celle que toutes les femmes ont connu à un moment ou à un autre. Le gynéco suffisant qui vous défonce la touffe avec ses gros doigts sans vous expliquer ce qu'il fait ni pourquoi, la peur d'être jugée en racontant nos histoires de vagin, la douleur de l'être effectivement, c'est terriblement banal, commun, mais si ignoré. Les femmes sont des hystériques qui se prennent la tête pour rien, c'est bien connu : ne parlons pas de leurs états d'âme... Une partie du livre aborde, de plus, la question des personnes intersexuées et le traitement abominable qui leur est réservé ; ça bouscule, c'est salvateur. Je dois enfin évoquer le style de l'auteur, déroutant le lecteur qui ne sait plus qui parle, et exploitant nos propres préjugés. Rien que pour ça, ça vaut le coup de le lire.


Ca fait des mois que je m'intéresse aux écrits de Martin Winckler. J'étais convaincue avant d'ouvrir son livre. Pourtant, quand je parle de ses idées autour de moi, je bute sur au mieux de l'incrédulité ("C'est pas possible que ça arrive, c'est des cas isolés, il y a des cons dans tous les métiers !"), au pire sur de l'agressivité ("Cet écrivain est un salaud qui dit aux femmes ce qu'elles veulent entendre. Combien vont mourir si on ne fait plus les examens comme il faut ?"). Ce sont d'ailleurs majoritairement des hommes qui ont réagi pour justifier le traitement imposé à mon vagin ; par contre, quand il s'agit d'un toucher rectal pour dépister le cancer de la prostate, c'est pas le même discours.

Ce vendredi-là, donc, dans le RER, je lisais les témoignages de ces femmes qui ont souffert de leur gynécologue et ma vue s'est brouillée. Une boule dans la gorge, immobile, les yeux fixant sans voir les caractères noirs sur le papier blanc, le souvenir de ce cabinet aux murs bruns où je me suis faite piéger il y a 12 ans s'est imposée à moi. La mémoire m'a envahie impérieusement ; impossible de m'échapper, de nier, d'oublier encore, de faire comme si rien ne s'était passé, comme si tout cela était derrière moi, comme si tout avait été normal. Impossible d'étouffer la peur, la colère, la tristesse ni la rage qui j'avais faites taire jusqu'à ce jour comme autant de manifestations hystériques d'une contrariété montée en épingle. Parce que, je le savais, je l'ai toujours su mais n'ai jamais voulu l'admettre, j'avais raison de le haïr, ce gynécologue si gentil, si calme et rassurant. Et puis ma pensée a dérivé, dérivé encore, étouffant dans la chaleur du train non climatisé roulant sous l'été qui luttait encore, devant mon livre dont je ne tournais plus les pages.

Il y a eu la première visite chez un gynéco qui m'a examinée en me promettant de ne pas me faire mal, sans m'expliquer ce qu'il allait faire ni à quoi cela servirait. Je ne savais pas en quoi consistait l'examen car voir un gynécologue me paraissait si naturel que je n'avais rien demandé à personne : je suis restée sidérée quand il a enfilé un gant en plastique sur sa main immense, silencieux, en détournant le regard, l'air honteux. Mais qu'est-ce qu'il va me faire oh mon dieu c'est pas possible ça peut pas arriver ça peut pas se passer comme ça... Je marchais en canard en sortant, une ordonnance pour un test sanguin en poche, avec l'impression d'être punie pour avoir osé demander l'accès à la contraception et la honte d'avoir souffert d'un processus par lequel toutes les femmes passent sans rechigner. 

Il y a eu la gynécologue chez qui j'avais peur d'aller car on m'avait dit que les femmes étaient moins douces. Pourtant, elle, au moins, a eu la délicatesse de faire une pause avant l'examen et de me dire doucement "respirez profondément, détendez-vous". Rien que pour ça, je lui suis restée reconnaissante.

Il y a eu la gynécologue qui m'examinait brutalement, en me reprochant d'être crispée (je l'ai surnommée "la charcutière"). Accompagnant ma première grossesse, elle était d'une froideur effarante, abordant les fausses couches et le test de la trisomie comme des choses sans conséquences. Refusant d'entendre mes inquiétudes au sujet de la baisse de libido provoquée par la pilule, elle a dit sèchement que c'était sans doute la fatigue et que le stérilet était inefficace pour les moins de 35 ans. J'ai cessé de la voir au début de ma seconde grossesse, qui avait été attendue et désirée avec frénésie : je l'avais appelée pour des saignements qui m'inquiétaient, et elle m'avait répondu, l'air ennuyé, que ce n'était pas grave, une fausse couche si précoce.

Mon quatrième gynéco, lui, a son caractère, il s'écoute un peu parler, mais il ne me fait pas passer d'examen pénible sans raison, il me parle comme à une adulte (même s'il a fallu qu'il apprenne à me connaître avant ça), il m'explique ce qu'il fait. Il m'a laissée choisir ma contraception, tout en me proposant des options de rechange si mon choix ne suffisait pas, il a toujours écouté ce que j'avais à lui dire sans me juger. Je l'ai même vu engueuler des collègues à lui qui n'avaient pas fait preuve de respect à mon égard dans le suivi de mes grossesses et accouchements. Et même, un truc tout bête, quand j'arrive, avant de me demander à quand remonte mon dernier frottis, il me dit bonjour et demande de mes nouvelles ainsi que des nouvelles de ma famille. Et ça me fait plaisir à chaque fois comme si je rencontrais le Père Noël.


Le pire, dans tout ça, c'est que, la première fois que j'ai consulté le Père Noël, j'en suis sortie effrayée. Comment pouvait-il savoir que tout allait bien sans m'examiner ? J'étais prête à retourner chez ma charcutière, juste pour être sûre. Je me suis dit qu'un dentiste devait voir les dents de son patient pour vérifier que tout va bien.
Mais avec le recul, j'ai fini par penser qu'exiger un examen gynécologique, c'était plutôt comme demander un coup de fraise sur une dent saine. Si le docteur vous dit que c'est pas la peine, on ne va pas en redemander, non ?
Enfin... Je n'ai pas assez creusé la question sur la pertinence des examens gynécologiques pénibles. Tout ce que je peux dire, c'est qu'avant de laisser un homme mettre une partie quelconque de son individu dans mon vagin, en général, je demande un peu de conversation respectueuse de sa part. On parle de mon intimité, quand même, pas d'une autoroute gratuite.



6 commentaires:

  1. je me souviens du traumatisme de mon 1er examen, un grand ponte qui n'a pas voulu écouter ma souffrance et qui m'avait juste refilé une prescription de pilule... résultat une grave infection qui m'a coûté un ovaire à 16ans.
    puis cette "charcutière" qui m'a insulté en m'envoyant faire un examen écho morpho chez le pire échographe de la région pour ma 1ère grossesse. lui m'a traité d'obèse et que je devais avoir honte de prendre autant de risques! pourtant j'étais en parfaite santé...
    mon père noël à moi était un petit bonhomme échangé d'un hôpital algérien qui était si respectueux de moi de mon corps et de mes doutes que je lui en serai reconnaissante à vie... et même lorsqu'il a du faire une révision utérine (poésie du soir ^^) je n'ai rien senti!
    par contre le remplaçant argumentant sur la beauté de ma poitrine ne m'a jamais plus revue...

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    1. Merci pour ce témoignage !
      J'espère que ça ne t'a pas été trop difficile à écrire...
      Je n'ai pas vraiment parlé des suivis de grossesse ici, mais c'est vrai qu'on peut en dire... Entre les échographes, certaines sage-femmes, les obstétriciens... Pour certains, nous sommes toutes stupides, irresponsables, et palpables à volonté.

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  2. Je me souviens de cette gynéco à Paris qui paraissait si gentille, un peu trop peut-être, et qui m'a donné une petite claque sur la fesse en complimentant ma culotte alors que je me rhabillais... J'ai cru l'avoir rêvé sur le coup. Je n'en reviens toujours pas.

    J'ai arrêté de la voir quand elle m'a proposé que "j'arrête la pilule pour voir si tout marchait bien". J'avais 25 ans et quelques années auparavant, j'avais eu recours à une IVG suite à une grossesse non désirée. Je lui ai dit que je n'avais aucune envie de risquer de tomber enceinte à nouveau et je suis partie. J'aurais aimé lui dire à quel point elle était dangereuse.

    Mais oui, j'ai aussi rencontré d'excellents gynécos, dont celui que j'ai consulté après mon IVG justement, dans la ville où je faisais mes études. Jamais un médecin ne m'avait paru aussi attentif et... simplement humain. Quand il m'a dit "C'est du passé maintenant", en parlant de mon IVG, j'ai ressenti une sollicitude qui m'a touchée, ce n'était pas une phrase répétée de façon mécanique. On a enchaîné sur mes études, sur ce que je voulais faire, de la façon la plus naturelle possible et jamais je ne suis sentie aussi respectée.

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    1. C'est fou tout de même qu'un comportement humain, ce qui est somme toute normal venant d'une personne qui traite des humains, paraisse si exceptionnel, compte tenu du mal que font les autres...

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  3. Sur le sujet, je vous recommande le blog (site ?) de Gaelle-Marie Zimmermann, alias La Peste.

    http://www.acontrario.net/tag/gynecologue/

    En particulier cet article là (si vous avez du courage pour vous enfiler les commentaires, y'en a qui valent le détour, on ne sait pas s'il faut rire ou pleurer) : http://www.acontrario.net/2010/05/17/apres-les-breves-de-comptoir-les-breves-de-gyneco/

    Sinon, j'ai lu le choeur des femmes, et j'ai adoré. Depuis je rêve d'un médecin comme ça, mais ça court pas les rues.

    Si le sujet des personnes intersexuées t'intéresse en particulier, il y a le très bon "Middlesex" de Jeffrey Eugenides (auteur de Virgin Suicides qui a été adapté au cinéma)

    Bonne Lecture!

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    1. Oui, je tombe régulièrement sur les articles de Zimmermann, j'aime bien, en général. Je recommande aussi ! :-)

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