samedi 22 octobre 2011

Un heureux événement

Vous savez que, côté cinéma, je suis un peu fleur bleue. Je suis plutôt bon public, j'aime les jolies histoires même quand elles sont un peu neuneu, un peu cliché. J'aime quand il y a un peu de provoc', quand ça mène quelque part. Un heureux événement est typiquement le genre de film qui me va bien.
J'ai lu le livre juste après la naissance de mon premier enfant. A ce moment-là, j'étais en colère d'avoir découvert certaines réalités de la maternité sans que personne ne m'aie prévenue. Forcément, le livre m'a fait du bien, je me suis sentie moins seule. Quand le film est sorti, j'ai tout de suite voulu aller le voir. Coup de chance, j'ai gagné des places grâce à Crêpe Georgette (merci encore, d'ailleurs !). J'ai donc réservé mon baby-sitter et emmené mon mari, toujours content de sortir de la maison, voir le film. J'ai même relu le bouquin la veille.

Etre parent, ou pas, c'est vivre un cheminement très personnel. On arrive devant ce film avec sa propre vision de la parentalité, avec sa propre expérience, ses propres aspirations. Et puis il y a le poids des clichés, les choses qu'on nous a appris à aimer voir, et les autres. Comment critiquer de manière objective un film qui touche à quelque chose d'aussi intime ?
On peut juger la technique cinématographique, la cohérence du scénario ou la qualité de l'adaptation, le jeu des acteurs. Ne connaissant rien à la technique, je passe mon tour. Le jeu des acteurs, en revanche, m'a conquise : on a beaucoup parlé de Louise Bourgoin, mais Pio Marmaï, Anaïs, Firmine Richard et Thierry Frémont offrent également une excellente prestation. J'ai été un peu déçue par Josiane Balasko dont la diction ne m'a pas parue naturelle, mais son regard en dit plus que sa voix.

L'adaptation du livre
L'adaptation du livre a été plutôt bien menée, mais certains aspects des personnages ont été effacés, menant à des incohérences.
Dans le livre, la famille est juive. Le récit se voulant universel, la religion des personnages n'est pas vraiment importante. Le film n'évoque jamais la judéité, ce qui ne manque pas, mais nous prive de l'atmosphère du Marais. Je ne peux pas m'empêcher de soupçonner que ce choix a été fait pour éviter les remarques antisémites, et je trouve ça un peu lâche.
Les remarques antisémites n'auraient pas manqué lors du déménagement et du changement de job de Nicolas. On sent bien, dans la bouquin, que cela est permis grâce à son réseau de connaissances. Le Nicolas d'Abécassis tient une galerie d'art, ce qui lui permet de croiser plus de beau monde que le Nicolas de Bezançon qui est employé dans un vidéo-club. Certains se sont étonnés de voir, dans le film, Nicolas trouver un grand appartement à Paris et un nouveau job bien payé en claquant des doigts. Pour éviter le cliché du Juif-qui-a-un-réseau-dans-Paris, on tombe dans l'incohérence. Dommage.
Le scénario tente aussi d'alléger le côté intellectuel de la famille en faisant de Nicolas un employé de vidéo-club, au lieu d'un homme ayant fait de grandes études et ayant choisi de tenir une galerie d'art, pas pour se faire du fric mais pour promouvoir de jeunes artistes. Les deux Nicolas sont des rêveurs, des idéalistes amoureux d'art qui se trahissent en prenant un job costard-cravate qu'ils détestent. Mais dans le film, on ne peut pas mesurer l'ampleur du renoncement de Nicolas, et on est surpris de le voir trouver si facilement un nouveau job, alors que le Nicolas du livre a tous les diplômes nécessaires pour y arriver. Le vidéo-club permet en outre d'assister à une scène de rencontre digne d'une comédie romantique avec Hugh Grant : c'est rigolo, c'est mignon, mais pas très réaliste.

A part ça, le film suit globalement le déroulement du bouquin (avec quelques liberté sur la fin, mébon, je me suis juré de ne pas vous la dévoiler !). J'ai donc retrouvé dans le film tout ce que j'ai aimé dans le livre. Certaines scènes ont fait écho à mon propre vécu de manière assez bouleversante. D'autres mères relèveront sans doute d'autres aspect du film, je pense.
Le critique des Inrockuptibles a reproché au scénario de manquer de cohérence et de proposer une juxtaposition de tranches de vie. C'est assez vrai, mais c'est aussi ce qui fait la force du film : rappeler ces scènes vécues par les parents. Le film ne génère pas l'émotion, il offre un écho à cette émotion tapie dans nos souvenirs épisodiques.

La découverte du bébé
Après une grossesse rigolarde et une scène d'accouchement mi-cliché (le mec qui tombe dans les pommes) mi-réaliste (belle vision de la péridurale et du cordon, merci !), Barbara doit faire connaissance avec sa fille tout en se remettant de son explosion de foufoune. Premiers regards, éblouissement de voir que ce petit bout sait déjà téter... J'ai adoré ce passage d'Abécassis :
"A ma grande stupéfaction, mon bébé de quatre heures savait parfaitement comment il allait téter, et elle s'appliquait à le faire avec une force et une détermination phénoménales, les yeux rivés sur le téton, concentrés, la bouche voracement accrochée au mamelon, elle puisant dans le sein ce qu'il lui fallait pour vivre. Elle n'avait pas besoin d'explication. Elle n'avait pas besoin de mode d'emploi ni de cours. Elle marchait toute seule, sans notice..."

Mais passé la joie, la peur apparait. La peur de ne pas savoir comment s'occuper du bébé, de ne pas pouvoir l'aimer, la peur de ne pas s'en sortir. C'est énorme, un bébé.
C'est plus facile quand on est sûre de ne pas être seule. Mais, même quand les pères sont hyper impliqués, on finit toujours par être seule. On finit seule à la maternité parce que le papa est à la mairie, parce qu'il fait la lessive des pyjamas tachés de lait, de vomi et de sang, parce que les heures de visite sont terminées, parce qu'il est en train de fixer ce putain de siège auto avec la notice en coréen pour la sortie de la maternité, parce qu'il ne trouve pas de place pour se garer... On finit seule à la maison parce que le papa a dû reprendre le boulot après les 11 trop courts jours de congé paternité... Seule avec cette responsabilité gigantesque et ces images de mères heureuses auxquelles on n'arrive pas à ressembler.
C'est pour ça que le vue de Barbara-Louise Bourgoin en larmes dans sa chambre d'hôpital, le bébé dans son couffin, mais bouleversée et soulagée. Le souvenir de ces nuits, désemparée et seule avec l'enfant, me hante encore.

Les suites de l'accouchement
Que la grossesse ne soit pas toujours fun, ça commence à se savoir. Que l'accouchement puisse être apocalyptique, certaines ne se gênent pas pour le dire, si possible à celle qui doivent y passer bientôt. Mais après l'accouchement ?
J'ai ri en voyant Barbara marcher en canard dans les couloirs de la maternité. Parce que c'est vrai ! Après l'accouchement, on a la touffe explosée, le bide en vrac, on pisse le sang, et en plus, il faut s'occuper du môme (presque seule, comme je le disais plus haut). Ca, on ne vous le dit pas, on ne le montre pas, les images de mamans béates sont plus jolies et rassurantes.
Et puis ce petit caillot de sang que Barbara trouve dans son bain... Ca, on ne vous le dit pas, non plus. J'aurais même aimé en voir plus dans le film, mais alors il aurait été interdit aux moins de 16 ans.

La sexualité après l'accouchement
Valérie a déjà soulevé la sottise cette scène de sexe glaçante. Je ne vais pas revenir dessus, mais je suis tout à fait d'accord avec elle : c'est une grave erreur du film.
J'ai en revanche relevé avec bonheur une scène parfaitement réaliste chez le kiné : ce dernier demande à Barbara si elle n'a pas mal pendant les rapports sexuels. Barbara n'avait pas du tout cela en tête. C'est aussi ça, l'après-accouchement : vous avez à peine fini de saigner, vous êtes à peine cicatrisée qu'il faut se faire baiser. On vous rappelle vite que satisfaire les besoins de votre bébé ne suffit pas, il faut aussi satisfaire ceux de votre conjoint. Evidemment, personne ne vous demandera si votre désir est intact.
Le désir, justement, chez Barbara, est éteint. Son corps a été si longtemps une machine à pondre, tripotée, examinée, déshumanisé, qu'elle voit son sexe comme "un lieu de passage". Si je n'adhère guère à sa vision de la sexualité qui perdrait tout intérêt sans interdit, je ne peux pas nier que les événements médicalisés et si fortement anatomiques qui bouleversent le corps ne facilitent pas le désir.

La philosophie
Là encore, le film a fait écho à un vécu très personnel.
Barbara effectue une thèse de philosophie quand elle tombe enceinte. J'étais en thèse de physique. J'ai donc pu expérimenter, dans une moindre mesure, le décalage que l'on ressent lorsqu'on jongle avec des concepts obscurs avant de changer une couche. Devant son PC, on se sent puissante. Devant son enfant, on est démunie. Je peux résoudre des équations aux dérivées partielles sans hésiter, mais quand bébé pleure, je ne sais plus quoi faire.

L'amour
Peut-on s'aimer quand on a un enfant ? Je ne suis pas d'accord avec la vision apocalyptique d'Abécassis. Je ne crois pas que le père de mes enfants en moi-même nous leurrions, ni que les couples que je connais fassent semblant. On peut s'aimer en dépit des enfants qui prennent une place immense entre les parents.
A condition d'être prêts. L'enfant change ses deux parents. Nicolas prend conscience de ses responsabilités et renonce à ses rêves, Barbara se mue en mère maternante. Peut-on s'aimer quand on a changé ? Oui, si on ne renie pas ce qui, dans nos caractères, a séduit l'autre.
Le film met l'accent sur l'incompréhension et la fatigue dans le couple. Sans compréhension, communication ni partage, sans respect de l'autre, le couple est voué à l'échec. Dans ce cas, c'est l'enfant qui fait tout exploser, mais ça aurait très bien pu être autre chose.

Un film à voir ?
C'est à vous de décider. Ce film est loin d'être parfait, mais il fait plaisir, il fait sourire, il fait du bien.
En ce qui me concerne, j'ai passé une très bonne soirée. C'est déjà ça. Merci encore Valérie,je n'oublie pas que c'est à toi que je la dois !

3 commentaires:

  1. Oui,compréhension et respect, peut être ce qui manque encore chez beaucoup de notre espece.

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  2. Merci pour ce contre-rendu !
    Il faudrait que je le voie pour me faire une idée, après la critique négative de Valérie.

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  3. vous dites : "Comment critiquer de manière objective un film qui touche à quelque chose d'aussi intime ?"

    ben je sais pas.
    je sais pas si c'est si intime que ça
    j'ai l'impression depuis longtemps que même cette intimité là nous est inculquée par les modèles culturels sociaux.
    on est programmé à être une sorte de parent, un modèle de parent, c'est à dire toute un système de régulation comportemental et psychologique et sensuel.

    des films qui mettent en scènes des parentalités y'en a plein. c'est un thème de fond de beaucoup de comédies dramatiques en fait.

    j'en ai vu beaucoup en ayant la larme à l'oeil, pour plein de raisons que je vois à chaque fois comme résonnant avec mon histoire, ma programmation personnelle, celle de mon intimité. des fois c'est un espoir de voir qu'il puisse exister quelque chose qui m'attire parce que je ne l'ai jamais vécu et que je ne le vivrai jamais, avoir été une sorte d'enfant pour une sorte de parent, ou être un parent etc...

    je suis trop vieux maintenant pour garder un espoir de vie amoureuse un jours ou d'être parent. je suis trop vieux parce qu'on m'a fait trop de mal sur ce sujet (en plus de mon âge évidemment). mais je suis encore assez humain pour ressentir de l'attirance ou de la répulsion pour l'expression d'un modèle culturel.

    j'ai pas vu ce film, parce que j'ai pas cherché s'il était téléchargeable quelque part. j'ai lu d'autres critiques qui sont parfois très négatives. je me méfie énormément des films français de ce genre. donc je vais pas vous dire que je suis d'accord ou pas avec votre critique.
    simplement que pour moi, même l'intimité ça vient de comment le monde nous a construit. je ne pense pas que ma pensée soit autre chose que le résultat de mon parcours dans le monde, de même pour mes attirances, indifférences, répulsions. et l'événement de faire un enfant, ça vient aussi de ça.

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