lundi 25 juillet 2011

Tag de l'aéroport

Je viens d'être tagguée par Euterpe. Je vais tenter de répondre depuis mon téléphone. Je suis en effet à l'aéroport, en partance pour Hanoi. J'emmène le meilleur guide : ma grand-mère qui est née au Vietnam. J'y rencontrerai d'ailleurs son frère! :-)
Je dois donc donner 7 bonheurs, un par jour de la semaine. Alors...

Lundi. J'arrive enfin à débugger mon programme. Victoire de la femme sur la machine. Satisfaction du travail accompli. Paix en voyant régner la logique et l'ordre.

Mardi. Je fais des lasagnes et c'est très bon. Hobbit a les yeux qui brillent.

Mercredi. J'obtiens enfin de mon mari qu'il accepte de regarder un film que j'adore, les Liaison Dangereuses (Frears). Il adore. C'est génial de le voir vibrer. Il faut que je relise le livre.

Jeudi. Incroyable show de catch! Enfin du changement à la WWE...

Vendredi. C'est les vacances! 4 semaines sans entendre parler du Trône de Fer est des filles à poil dedans...

Samedi. Je dépose bébé chez mes parents. La séparation est dure, mais Papa me console d'un délicieux rôti dont il a le secret. Je m'offre des livres avec MES sous que J'ai gagnés.

Dimanche. Je réalise que je vais enfin voir la terre de mes ancêtres. Le Vietnam, enfin. Toute ma vie ma Mamie chérie m'en a parlé.

Voilà ce qui me vient à l'esprit depuis la salle d'embarquement. Je vous raconterai le voyage, promis! Je twitterai peut-être un peu...
A dans 2semaines! Bises.

vendredi 22 juillet 2011

Deux frères

Je suis fille unique.
C'est pas un drame, mais des fois, je me sens un peu seule. J'aurais bien aimé avoir un grand frère ou une grande soeur pour me guider. Un petit frère ou une petite soeur, curieusement, ça ne m'a jamais attiré, mais j'aurais certainement appris à l'aimer. Maintenant que je suis adulte, des fois, je me dis que j'aimerais bien avoir quelqu'un qui aurait grandi avec moi, qui aurait reçu une éducation proche de la mienne, et à qui je pourrais écrire. Je posterais des conneries sur son mur Facebook avec plein de "lol" et de ";-)" dedans (ouais, je suis lourde, sur Facebook), je lui enverrais des diaporamas à la con sur sa boîte mail pro... On échangerait des photos de nos enfants, on leur réserverait une pièce pour qu'ils jouent ensemble pendant les longs dîners de famille. On les regarderait jouer en nous souvenant de notre propre enfance, en échangeant un clin d'oeil complice et ému. Je lui poserais plein de questions sur son job, j'apprendrais plein de choses que je pourrais ressortir fièrement au boulot à la machine à café.
Enfin, c'est comme ça, je ne suis pas malheureuse et la situation a ses avantages. J'ai eu Papa et Maman pour moi toute seule. Et puis, peut-être qu'on s'entendrait pas, peut-être que je me serais retrouvée avec un beau-frère ou une belle-soeur débile.

Les frères et soeurs, pour moi, c'est une grande inconnue. J'ai beau observer les fratries, je n'arrive pas à établir une vision des frères et soeurs qui ne soit ni stéréotypée, ni fantasmée. Et puis les parents, comment ils s'organisent avec deux gosses ou plus en même temps ? Je n'ai jamais vu les miens faire, je n'ai pas de modèle. Je suis dans le flou total.
Je n'ai réalisé que j'étais un peu perdue que pendant ma seconde grossesse. Je me suis lancée dans la conception du lutin sans réfléchir, parce que moi, si je réfléchis, je ne me lance jamais. Et là, terrassée par des nausées incessantes et un épuisement total, j'ai réalisé que je ne savais absolument pas à quoi m'attendre. J'ai paniqué. Est-ce que j'arriverais à gérer les deux enfants en même temps ? Est-ce que je saurai faire cesser les inévitables chamailleries, les jalousies ? Est-ce que je saurai comprendre ce qui leur passe par la tête quand ils sont ensemble ? Et surtout, est-ce qu'ils vont s'aimer ?
On me disait que, forcément, il y aurait des jalousies, des bagarres. Qu'il ne fallait pas m'en faire, que c'était normal. Normal ou pas, l'idée de les voir se déchirer me brisait le coeur.

Mon hobbit réclamait depuis des mois un petit frère. Nous n'avons pas voulu lui annoncer ma grossesse dès le début, de peur qu'il soit déçu en cas de fausse couche. Par contre, nous souhaitions lui permettre de profiter de ma grossesse : assister aux échographies, sentir bébé bouger, lui parler... S'il le souhaitait, évidemment, sinon, on ne l'aurait pas embêté avec tout ça.
Le matin de la première échographie, nous lui avons annoncé que j'avais "un bébé dans le ventre" et qu'on allait le voir en photo dans la journée. Il savait parfaitement que les enfants grandissent dans le ventre des mamans : un de ses copains, chez sa nounou, avait eu un petit frère l'année précédente, et il avait vu grossir la mère qui a fini par venir avec le bébé dans les bras. Il a compris tout de suite ce qu'on lui expliquait (je vous ai dit qu'il était malin !). Dans les premières secondes, il n'a manifesté ni joie, ni contrariété. Il est resté les bras ballants, étonné, perdu. J'ai eu peur, et je lui ai dit la première chose qui me venait à l'esprit :" Tu veux faire un bisou au bébé ?". Son visage s'est éclairé, et, fou de joie, il s'est jeté des mes bras, plaquant un énorme baiser sur mon ventre encore plat.
Il est venu à toutes les échographies, malgré un panneau de l'hôpital qui interdisait la présence des moins de 8 ans. Les praticiens l'ont toujours fait entrer quand même et lui ont montré celui qu'il appelait déjà "MON bébé". Avec sérieux, il a écouté les conseils de la famille : faire des gestes doux avec le bébé, bien se laver les mains, ne pas lui prêter ses jouets de grand. Il nous a aidé à aménager la chambre, à acheter ce qui nous manquait ; il a fouillé dans ses affaires pour retrouver ses jouets de bébé qu'il a presque tous rangés lui-même dans la chambre de son frère à venir (je lui avait expliqué qu'il aurait toujours le droit de jouer avec, quand même). Avec tendresse, il a pris soin de moi, sans qu'on lui demande rien. Nous avons discuté du prénom tous ensemble et avons, tous les trois, craqué sur le même. Un vrai rêve.
Parallèlement, c'est à cette époque qu'il a commencé à se sentir mal à l'école. La maîtresse était inflexible : l'arrivée imminente du bébé le dérangeait forcément. Pourtant, il était si fier, si heureux, si pressé de voir bébé ! Je ne l'ai pas écoutée, je connaissais mon gamin, quand même. Je m'effrayais de cette prise en charge inadaptée du problème.

Le 1er mars dernier, mon lutin est venu au monde. Fils de deux adeptes du smartphone, bébé a été photographié dès ses première minutes de vie, et ces photos ont été envoyées à mon père, qui gardait le hobbit. On m'a raconté la voix attendrie de mon bonhomme lorsqu'il répétait le prénom du bébé, son sourire, son impatience en attendant les heures de visite.
Il est entré dans ma chambre pendant que je donnais le biberon. Il n'a rien dit, lui qui est plutôt bavard. Il a regardé le bébé, puis s'est jeté sur les sacs que mon père transportait pour en sortir les cadeaux prévus. Il nous a couverts de présents, simplement. J'ai compris qu'il était embarrassé, qu'il ne savait pas comment faire connaissance avec son petit frère. Alors je lui ai dit qu'il pouvait l'embrasser, le caresser, le toucher, lui parler. Il l'a embrassé tout doucement, en faisant attention (lui qui est un vrai bolide imprudent, un briseur de vases impénitent). Et puis il s'est ennuyé, et il a demandé à partir. Mes parents l'ont emmené : avoir un petit frère, c'est pas être forcé à rester dans des endroits où on s'ennuie.
Nous sommes rentrés à la maison. Mes garçons ont appris à se connaître. Mon hobbit se précipitait pour redonner au bébé sa tototte quand il la lâchait. Il lui disait "ne t'inquiète pas, bébé, je suis là, je serai toujours avec toi". Il a appris à imiter nos gestes, notre ton. Nous l'avons encouragé, lui avons montré que son petit frère l'aimait : ses premiers areu, ses premiers sourires ont été pour lui, et bébé le regarde avec admiration. Nous avons veillé à ne pas trop le responsabiliser non plus : à chaque fois qu'on lui demande un coup de main, nous lui rappelons qu'il n'était pas obligé de le faire. Il s'est senti libre de refuser et ne s'en est pas privé.
Et pendant ce temps, à l'école, c'était toujours l'enfer. Il ne voulait plus y aller, il se roulait par terre de colère, se cachait derrière les arbres... La faute du bébé, bien sûr ! Mais quand j'ai repris le travail, ça s'est calmé, comme par magie, du jour au lendemein. Ce n'était pas l'arrivée du bébé, en tout cas pas directement, qui modifiait son comportement : il voulait rester à la maison avec moi ! Le diagnostic de précocité a suivi, la maîtresse a fini par s'adapter à lui, tout en continuant à penser que l'arrivée du Lutin avait servi de catalyseur. Elle est têtue...

Je ne nie pas qu'il aie pu se poser des questions. Il m'a demandé une fois si je l'aimais toujours autant, et je l'ai rassuré. Il a eu l'air convaincu et m'a dit, quelques jours plus tard "on est tes fils, tu nous aimes tous les deux".
Nous avons reçu en cadeau des livres pour enfant où le petit héros voyait arriver un petit frère ou une petite soeur. Nos généreux donateurs ont voulu aider mon hobbit à passer le cap. Partant du principe que la naissance d'un bébé est un bouleversement et que ça lui a forcément fait quelque chose, j'ai été très contente de recevoir ces livres dont je comptais me servir pour lancer un dialogue. Alors que je lui en lisait un, Hobbit m'a demandé :
"Maman, c'est quoi, être jaloux ?
- C'est vouloir quelque chose qu'un autre a. Là, Hugo voudrait que sa maman passe plus de temps avec lui, vu qu'elle s'occupe beaucoup du bébé."
La réponse a été rapide, spontanée, scandalisée : "Mais il est BETE !"

Aujourd'hui, le lutin apprend à jouer sous le regard ému, attendri et fier de son grand frère. Je lui explique comment fonctionnent les bébés, je lui dis qu'il apprend peu à peu à se servir de ses mains, de ses pieds... Hobbit m'a un jour sauté au cou en hurlant de joie : "Maman ! Il a réussi à attrapper son doudou !" Grand frère fait d'immense câlins à son bébé, et râle quand bébé lui bave sur les joues : "c'est pas comme ça, les bisous !". Quand on rencontre quelqu'un, il lui présente toujours lui-même son petit frère, avec solennité : "Ca, c'est mon petit frère, il s'appelle Lutin". Il rayonne de fierté quand on lui dit que bébé est costaud, mais quand on dit qu'il est mignon il hausse les épaules : "ben oui, hein, il est beau, mon petit frère". C'est tellement évident. ;-)

Oui, l'arrivée du bébé a été un bouleversement pour mon bonhomme. Je ne savais pas à quoi m'attendre, et tout le monde m'a annoncé de la jalousie, de la violence, de la colère. J'avais peur. Finalement, ce que j'ai vu, c'est la naissance d'un amour immense, d'une complicité attendrissante qui m'étonne et me charme.
Je ne sais pas ce que ça donnera plus tard. La vie n'est pas un long fleuve tranquille, tout ne sera pas parfait. Leurs rapports futurs ne seront sans doute pas aussi beaux que ceux dont je rêve, mais quand même, ça promet. C'est la preuve, s'il en fallait encore une, qu'il ne faut pas croire les clichés.


PS : je pars en vacances dans quelques jours, je tenterai de passer pour répondre aux commentaires, s'il y en a, mais je ne vous promets rien ! :-)

vendredi 15 juillet 2011

L'Amour en Plus

Je n'ai jamais cru en l'instinct maternel, même avant d'avoir mes enfants. Cet instinct ressemble plus à un fantasme de pouvoirs surnaturels qu'à une caractéristique aux causes physiologiques établies. A la naissance de mes enfants, je n'ai pas gagné de capacités extrasensorielles. Si, quelquefois, j'ai réagi plus vite que mon mari, c'était clairement par habitude des poupons et des discussions sur les bébés avec les mamans. Je n'avais donc aucun doute quant à l'inexistence de l'instinct maternel quand j'ai ouvert L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter. Je cherchais des arguments et des faits pour casser les machos qui sous-entendent toujours que mon intérêt pour mes enfants est instinctif (pas besoin d'instinct pour aimer mes merveilles !). Et puis j'étais curieuse de lire Badinter ; je ne sais pas à quoi ressemblent ses autres livres même si j'en ai beaucoup entendu parler (pas en bien !), mais celui-ci, je l'ai bien aimé.
Badinter ne parle pas d'instinct maternel, mais d'amour, cet amour absolu, naturel, de la mère pour son enfant. S'il est naturel, s'il apparaît automatiquement dès la naissance de l'enfant, il a dû se manifester chez toutes les mères, tout au long de l'histoire. Et s'il est absolu, toutes les mères ont dû se sacrifier pour le bien-être et la sécurité de leur enfant.

La première partie de l'ouvrage démontre, chiffres et témoignages d'époque à l'appui, que sous l'Ancien Régime les mères ne se sont pas sacrifiées pour leurs petits. Peu désireuses de pouponner (dans cette société, les enfants font peur, ils sont méprisés, traités comme des jouets), elles les ont massivement abandonnés à des nourrices chez qui ils étaient en grand danger de mort, et en toute connaissance de cause. Les jeunes survivants étaient, selon les moyens des parents, éduqués par des précepteurs, des gouvernantes, des collèges, des couvents, mais rarement par leurs parents, et donc pas par leurs mères.
Ceci ne veut pas dire que l'amour maternel n'existe pas, mais qu'il n'est pas absolu. Ceci étant, on pourrait croire que l'amour maternel a été étouffé sous l'Ancien Régime : l'abandon étant la norme sociale, les conditions n'étaient pas propices à la naissance de sentiments, quelqu'ils soient.

La seconde partie de l'ouvrage montre comment les hommes politiques de la fin de l'Ancien Régime ont réalisé la situation dramatique des enfants mis en nourrice. Pour diminuer la mortalité infantile, il était clair que les enfants devaient rester auprès de leurs parents. On a donc choisi de responsabiliser les mères, et une grande campagne de sensibilisation a été menée. L'amour maternel a été érigé en valeur féminine par excellence. Les philosophes du siècle des Lumières, Rousseau en tête, a promis aux "bonnes mères" des joies inégalées, et une catastrophe familiale pour les autres.
Si l'amour maternel est naturel et naît automatiquement quand la mère tient son nourrisson dans les bras, si l'on n'arrache pas les nourrissons aux bras de leurs mères, l'amour devrait triompher. Il ne devrait pas avoir besoin d'être encouragé, valorisé ; les mères ne devraient pas avoir besoin de manuel, ni de modèles. S'il est naturel d'aimer son enfant à la folie et de tout sacrifier pour lui, pourquoi ce penchant a-t-il dû être autant encouragé ? Pourquoi le résultat n'a-t-il pas été immédiat ?

La troisième partie expose comment les conseils de Rousseau et les théories de Freud ont permis de mettre en place une image de la mère idéale et de culpabiliser toutes celles qui ne collaient pas parfaitement au modèle.
Pour Rousseau et ses successeurs, la Nature, qui est belle et parfaite (les virus, les bactéries, les ouragans, c'est top), a donné à la femme toutes les ressources pour être une bonne mère. Tourner le dos à son destin de mère, c'est tourner le dos à sa nature, c'est être un monstre. Et pour ne pas tenter la Femme de tourner le dos à sa Nature, on lui donne une éducation spécifique, lui du raisonnement, des sciences, on lui donne le goût du sacrifice...  C'est à peine contradictoire. Si l'amour maternel est naturel, il n'y a pas besoin de l'encourager par des moyens lourds comme l'éducation donnée à Sophie ni de menaces les mères comme le fait Ida Sée qui promet aux femmes qui travaillent que leur famille sera détruite, parce qu'elles ne peuvent pas faire cuire la soupe à petit feu !
On en vient à Freud. Et là, arg. La "mauvaise mère" n'est plus seulement dénaturée, elle est malade. Contagieuse, si elle ne se plie pas à la psychanalyse, ses enfants seront malades aussi. La description de la psychologie féminine fait vraiment froid dans le dos.

L'ouvrage se termine sur des constatations sur l'évolution de la famille dans les années 70. Les choses changeaient, les pères commençaient à s'impliquer dans les tâches familiales, les mères à  s'émanciper...


Depuis l'Ancien Régime, la philosophie et la psychanalyse se sont succédés pour inciter les femmes à se complaire dans un rôle de mères-courage. Et aujourd'hui ? Ces discours forment une trame diffuse dans nos esprits, ils nous influencent toujours, mais ils sont tempérés par notre désir de travailler, de produire, d'être des individus productifs à part entière. Sommes-nous libérées ? Je ne crois pas. Je crains que nous ne tombions sous un nouveau joug : celui de la biologie. Le lait maternel est bien meilleur pour l'enfant, mais culpabiliser celles qui ne peuvent ou ne veulent pas allaiter, parce qu'elles privent leurs enfants de ce lait est un abus. Porter son enfant est naturel, imposer* aux femmes de l'avoir tout le temps dans les bras, handicapant leur mobilité, ne l'est pas. Je n'ai pas le sentiment que la pression exercée sur les mères soit immense, mais je crois qu'il faut rester vigilants pour qu'elle ne le devienne jamais.
Comprenons-nous bien : tout n'est pas à jeter dans la philosophie rousseauiste, tout n'est pas à jeter dans la psychanalyse, tout n'est pas à jeter dans la biologie. Dans ces trois cas, des vérités ont été mises à jour et un réel progrès humain en est ressorti. Néanmoins, les idées ressortant de ces disciplines ont été utilisées par certains spécialistes pour enfermer les femmes dans leur rôle de mère.
Qu'une mère aime ses enfants, c'est bien normal. Etre forcée à les aimer jusqu'à s'oublier ne l'est pas : comment un enfant peut-il être épanoui avec une mère épuisée ? Se voir nier un quelconque autre rôle ne l'est pas. Nier le rôle du père ne l'est pas. En revanche, allaiter ou porter son enfant si on le souhaite, quand on le souhaite,  comme on le souhaite, en étant correctement informés, sans encourir de jugement, en collaboration étroite avec le père qui supporte 50% de l'effort, dans le respect, là, j'aurais rien à redire.

Assez de mères courage ! Vivent les parents bonheur ! Les enfants ont tout à y gagner...

* Attention à la signification du mot "imposer". Personne n'a la baïonnette dans le dos, mais tout le monde est soumis à des images idéalisées, imposées, qui orientent nos choix.


Edit : Ma copine Working-Mama vient de sortir l'article dont elle nous parlait dans les commentaires : Mais c'est quoi, l'instinct maternel ? Un article très chouette !


Illustrations :
La couverture de L'Amour en plus d'Elisabeth Badinter, paru au Livre de Poche en 1980.
Anne d'Autriche avec le Dauphin et la reine Marie-Thérèse, auteur inconnu, 1662.
Firmin Baes, Doux rêves, date inconnue.
Pierre-Auguste Renoir, La jeune mère, 1898.
Une lionne et ses petits (source)

mercredi 13 juillet 2011

Ces choses que je n'aurai jamais à dire...

Je n'ai que des (adorables) garçons. Comme je ne souhaite pas me reproduire de nouveau (et je vous préviens, quand on remet en question mon choix qui est mûr et réfléchi, ça m'éneeeeerve !),  normalement, je n'aurai jamais de fille. Et je n'aurai jamais à dire des choses du genre :

"Mais bien sûr que tu peux jouer avec le garage de ton frère !"
"J'aimerais trouver une robe qui ne soit pas rose, pour changer..."
"Il t'a dit "t'es qu'une fille" ? C'est pas une insulte !"
"Oui, Barbie princesse a une chouette robe, mais tu es sûre que tu ne préfères pas Barbie pédiatre ? Elle a un job, elle, au moins..."
"Pourquoi tu appelles ton frère pour déplanter l'ordinateur ? Tu ne peux pas le faire toi-même ?"
"Hé ouais, ça fait mal au bide, et ça tache... Bienvenue dans la vraie vie des femmes, ma grande ! Causons protections hygiéniques, maintenant..."
"Mais il est con ce conseiller d'orientation ! Si tu veux faire des sciences, tu peux ! Et ne me reparle pas de leurs élucubrations sur le cerveau..."
"Si tu veux apprendre à te maquiller, c'est pas moi qui vais pouvoir t'aider, hein."
"Tiens, je te prête mon épilateur. Respire bien profondément..."
"Mais non, t'es pas grosse ! Mange !"
"Même si ton copain a envie, si toi tu veux pas, tu veux pas, et il n'a qu'à aller se palucher tout seul. T'as pas à lui servir de dégorgeoir à foutre hein."
"Mais si, tu en es capable."
"Sortir toute seule le soir ? En théorie, tu devrais avoir le droit. En pratique, aucun effort n'est fait par l'Etat et la collectivité pour veiller sur ton intégrité physique. Donc il va falloir trouver un gentil couillon pour t'accompagner... Désolée."
"N'écoute pas ces crétins qui ne jurent que par Freud et le porno à deux balles. C'est le clitoris qui compte !"
"Non mais même si tu t'habilles comme un sac, il y aura toujours des types louches pour te suivre, t'aborder ou t'insulter dans la rue. C'est pas de ta faute. Sors, si tu en as envie, ne les laisse pas t'enfermer à la maison."
"Voilà le numéro d'une association d'aide aux femmes victimes de viol, pour ta copine. Rassure-moi, c'est bien d'une copine, qu'on parle ?..."
"Sois gourmande, quand tu négocieras ton salaire. Tu le mérites."
"On ne te donne pas la main de notre fille, parce que c'est à elle de choisir. Et si tu la traites mal, je t'éclate. Ah, et bienvenue dans la famille, quand même."
"N'arrête pas de bosser ! J'ai horreur de devoir dire ça, mais tu feras quoi, s'il te quitte ?"
"Mais si, tu vas l'aimer, ton bébé. Laisse-toi le temps de faire connaissance. L'instinct maternel ? C'te blague !"
"Nan mais forcément, si tu passes ton temps à sourire bêtement en réunion au lieu de causer, ils ne vont jamais te trouver crédible !"
"Mais vous l'avez fait à deux, ce môme, il peut s'en occuper, aussi !"
"Un type moins compétent que toi est mieux payé que toi ? Je vais crever les pneus de ton patron."
"Si vous aimez mon risotto, je vous donnerai la recette, cher gendre. Vous n'aurez pas besoin de demander à ma fille de vous le faire."

Je ne pense pas que ça me manquera.

Il y aurait certainement beaucoup de joies, aussi. Avec les garçons , j'aurai certainement des phrases pas marrantes à prononcer, et des idées reçues à combattre. Mais laissez-moi m'aveugler un peu. Je ne veux pas avoir de regrets.
En tout cas, ce qui est sûr, c'est que comme belle-mère, je serai infecte.

vendredi 1 juillet 2011

Lucrèce et Catherine M.

Catherine Millet a encore frappé.
Dans une interview publiée sur Rue89, elle dit : "Je risque de choquer, mais je ne comprends pas les femmes qui se disent traumatisées, sévèrement traumatisées par un viol. Une agression, c'est toujours traumatisant, bien sûr si le viol s'est fait avec violence, si vous risquez de perdre votre intégrité physique. Mais s'il n'y a pas eu ce genre d'agression, de menaces avec une arme, de coups, c'est un traumatisme qu'on peut surpasser comme n'importe quelle violence ordinaire." Cette sortie a provoqué avec justesse des réactions choquées de Sandrine Goldschmidt et de Maïa Mazaurette.

Catherine Millet n'est pas la seule à soutenir idée d'un viol non traumatisant et dont les conséquences seraient exagérées par la société. Marcela Iacub nous a gratifiés d'une réflexion du même tonneau : "Marcela Iacub reconnaît que le viol, atteinte majeure au consentement, doit être sanctionné. Mais elle affirme qu'il faut sortir du scénario supposé de la «mort psychique» de la femme violée. Non, dit-elle, c'est une pure supputation/construction des enquêteurs, des juges et experts «psy» pour justifier la sévérité du châtiment. Cette vie intérieure qui serait meurtrie n'est qu'une fiction à balayer."
Au Etats-Unis, FBI ne compte les viols que s'ils concernent une pénétration vaginale commise avec violence : c'est le concept de forcible rape dont j'ai déjà parlé par ailleurs.
Dans le monde entier, celles qui n'ont pas été tabassées avant le viol sont d'office discréditées : c'est le cas de victimes présumées de Julian Assange et de DSK. Si elles n'ont pas été violentées, de quoi se plaignent-elles ?
Le viol en lui-même n'est pas considéré comme grave, puisque c'est un sujet de fantasme. Sans violence préalable, c'est considéré comme embêtant, mais pas dramatique. Pas de film, ni d'épisode de série policière, ni de fait divers suscitant l'émotion, où la victime d'un viol n'a pas été torturée et/ou tuée. La Kika d'Almodovar est moins ébranlée par son viol que par la diffusion des images. On rentre dans une femme comme dans un moulin ouvert aux quatre vents, il n'y a pas de quoi foutter un chat, mais si on frappe cette petite chose fragile, là, on trouve du monde pour la plaindre.

Catherine Millet et Marcela Iacub se présentent comme défenseures d'une vision moderne de la sexualité, libérée du carcan des préjugés anciens. Mais en vérité, cette vision d'un viol non traumatisant, d'un corps féminin dans lequel on pénètre comme dans un moulin sans dommages est terriblement archaïque.
La Rome Antique nous a laissé l'histoire de Lucrèce. Cette dame de la famille royale, épouse de Collatin, a été violée par Sextus Tarquin, le fils du dernier roi de Rome, Tarquin le Superbe, connu pour être un tyran immoral. D'après Tite-Live, Sextus Tarquin et Collatin étaient ensemble à la guerre, et ont participé à une soirée  avec leur bande de potes vraisemblablement ronds comme des queues de pelle. Ils ont fini par lancer un pari pour savoir qui c'est qu'avait la plus chouette des épouses. Ils sont rentrés en douce pour voir ce qu'elles faisaient : toutes étaient au palais pour participer à un "repas somptueux" (elles étaient bourrées, quoi), sauf Lucrèce qui se tenait à carreau, "occupée, au fond du palais, à filer de la laine, et veillant, au milieu de ses femmes, bien avant dans la nuit". Collatin a donc gagné le pari, pendant que Sextus pétait une durite : "S. Tarquin conçut l'odieux désir da posséder Lucrèce, fût-ce au prix d'un infâme viol. Outre la beauté de cette femme, une réputation de vertu si éprouvée piquait sa vanité." Il revient quelques jours plus tard voir Lucrèce, en pleine nuit, et la menace de son épée. "Tandis qu'éveillée en sursaut et muette d'épouvante, Lucrèce, sans défense, voit la mort suspendue sur sa tête, Tarquin lui déclare son amour; il la presse, il la menace et la conjure tour à tour, et n'oublie rien de ce qui peut agir sur le coeur d'une femme. Mais, voyant qu'elle s'affermit dans sa résistance, que la crainte même de la mort ne peut la fléchir, il tente de l'effrayer sur sa réputation. Il affirme qu'après l'avoir tuée, il placera près de son corps le corps nu d'un esclave égorgé, afin de faire croire qu'elle aurait été poignardée dans la consommation d'un ignoble adultère. Vaincue par cette crainte, l'inflexible chasteté de Lucrèce cède à la brutalité de Tarquin, et celui-ci part ensuite, tout fier de son triomphe sur l'honneur d'une femme."
Lucrèce fait alors revenir son père et son mari de la guerre pour tout leur raconter : "À l'aspect des siens, elle pleure; et son mari, lui demandant si tout va bien : "Non, répond-elle; car, quel bien reste-t-il à une femme qui a perdu l'honneur ? Collatin, les traces d'un étranger sont encore dans ton lit. Cependant le corps seul a été souillé; le coeur est toujours pur, et ma mort le prouvera. Mais vous, jurez-moi que l'adultère ne sera pas impuni. C'est Sextus Tarquin, c'est lui qui, cachant un ennemi sous les dehors d'un hôte, est venu la nuit dernière ravir, les armes à la main, un plaisir qui doit lui coûter aussi cher qu'à moi-même, si vous êtes des hommes." " Les tentatives de sa famille pour la consoler restent vaines : "Pour moi, si je m'absous du crime, je ne m'exempte pas de la peine. Désormais que nulle femme, survivant à sa honte, n'ose invoquer l'exemple de Lucrèce !" Et Lucrèce se suicide. Cet acte met le feu aux poudres et Rome se révolte contre les Tarquin. La République est proclamée peu après.
Sextus Tarquin ne prend pas Lucrèce par la force : il la persuade de se laisser violer. L'épée était juste là pour l'empêcher de hurler. La souffrance physique de Lucrèce n'est à aucun moment évoquée. C'est sa souffrance psychologique qui la mène au suicide : la honte d'avoir cédé, la souillure de son honneur. En ravissant son honneur, Sextus Tarquin a détruit la possibilité pour Collatin d'avoir avec Lucrèce un enfant dont on ne pourrait contester la paternité : c'est donc sa maternité potentielle qui a été écrasée. Lucrèce est une maison dans laquelle on est entré par tromperie, sans même péter la porte. Lucrèce, en femme romaine vertueuse, se considérait comme un objet, une mère en devenir, vecteur de la descendance légitime de son mari. Un objet brisé, inutile, on le jette. De plus, elle a cédé, non pas contre la violence qui aurait rendu son viol vraiment grave, mais contre la persuasion. Elle n'a pas veillé convenablement sur son honneur, ce qui appelle, encore aujourd'hui, un châtiment.

On peut, et on doit, s'insurger contre la dimension honteuse du viol. Il faut débarrasser les victimes de leur culpabilité. Lucrèce aurait dû crier sa rage, soulever Rome elle-même, au lieu de se châtier. Mais nier cette honte ne doit pas, par extension, nier le traumatisme infligé aux personnes violées. La légende de Lucrèce et la vision de Catherine Millet sont de la même nature.


Illustrations :
Capture d'écran de Kika, de Pedro Almodovar
Tarquin et Lucrèce, Almeida Junior, 1874
Lucrèce, Véronèse, 1580.