samedi 28 mai 2011

Mots d'enfant pour la fête des mères

Demain, c'est la fête des mères ! En attendant de recevoir mon premier cadeau fabriqué à l'école, j'ai décidé de fêter ça en faisant une petite rétrospective des petites phrases et tranches de vies les plus savoureuses que mon hobbit m'a offertes ces 4 dernières années.
Les voici, de la plus récente à la plus ancienne dont je puisse me rappeler.

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Logique enfantine :
"T'inquiète pas, Maman, les monstres, ça n'existe pas !
- Ah bon ?
- Ben non, ils sont méchants.
- Ah ? Et les fées, ça existe ?
- Ben oui ! Mais c'est bizarre, j'en ai pas encore vu..."

Dans la rue, devant tous les voisins :
"Maman, je me suis fait mal au doigt !
- Oh ? Montre-moi ça !"
Et il me montre son majeur...

Premier essai de ma yaourtière toute neuve, c'est loupé, mais hobbit est content et se précipite sur mes yaourts : "On peut même les boire !"

Quand il m'a demandé des "bas de laine et du peau de corne comme chez Mamie", j'ai mis du temps à comprendre qu'il voulait des madeleines et du pop corn.

Il joue avec son poupon pendant que je change la couche de son petit frère. Le poupon se retrouve enfermé dans le placard.
"Regarde, Maman, je l'ai mis dans son bain. Il fait tout seul, il sait faire. Maintenant, je vais prendre l'apéro !"
Jeux d'imitation, qu'ils disent... Oups.

Après mon accouchement, dès que j'ai retrouvé un tour de taille dont je n'ai pas à avoir honte, j'ai remis un vêtement moulant. Hobbit s'est exclamé en me voyant : "Oh, Maman, tu as remis tes seins !"

Bébé hurle, c'est la panique. Je lui propose la totote, il n'en veut pas. Après avoir presque tout essayé, je le mets dans son transat et file à la cuisine lui faire un biberon. Lorsque je reviens de la cuisine, biberon en main, je trouve mon bébé tout calme, totote en bouche, avec son grand frère tout sourire acroupi devant lui.
"Tu vois, Maman, il voulait juste sa totote !"

Heure du goûter, nous faisons un gâteau au chocolat. Il mélange la pâte, je la mets au four et je cours voir bébé qui pleure. Je reviens, je retrouve mon hobbit la tête littéralement dans le bol de pâte vide, du chocolat plein la figure, dans les cheveux... Et il me sort : "Maman, c'est dur la pâtisserie !"

A la fin de ma grossesse, sachant que j'avais très mal au dos, hobbit se précipitait pour m'aider à ramasser ce qui tombait par terre. Peu de temps après mon accouchement, il continue.
"Tu sais, poussin, c'est plus la peine, je n'ai plus de bébé dans le ventre, maintenant je peux me baisser."
Et lui, me regardant d'un oeil critique :
"Mais t'as encore un gros ventre, hein !"

En visite chez un médecin qu'il voit pour la première fois, hobbit regarde partout, tout étonné, avant de demander au praticien :
"Mais il est où, ton ordinateur ?"
Fils de geek...

Fin de journée, fatiguée, pas envie d'aller cuisiner...
"Mais Maman, tu n'as pas besoin de faire à manger, on n'a qu'à aller au restaurant !"

Entendant le mot "macho", hobbit me demande ce que c'est. Bien embêtée de devoir lui expliquer une notion pas forcément simple, je tente :
"Ben, il y a des hommes qui n'aiment pas les femmes, c'est des machos."
Réponse spontanée de mon poussin, les yeux écarquillés d'étonnement :
"Ils sont rikiki !"

Entendant parler de "belle-maman", il se demande de qui on parle, puis se tourne vers moi :
"Mais c'est toi, Maman !
- Hein ? Moi ?
- Ben oui ! Tu es belle, Maman !"

"T'as été sage, on va aller chez McDo !
- Non, je ne veux pas, Maman. Si je mange trop chez McDo, je deviendrai gros et on ne voudra plus me faire de bisou. Je veux aller chez Quick !"

Il a eu une période où il changeait les noms de tout le monde. J'étais Mamouille, son père Papouille, et Mickey... 
Moment de solitude chez au supermarché lorsqu'il a chanté le générique de "la Maison de Mickey" modifié à sa façon.

En balade, il est sur les épaules de son père. J'entends ce dernier crier de douleur et gronder le petit.
"Arrête de me tirer les cheveux !"
Et Hobbit, de bonne foi :
"Mais je fais comme dans Ratatouille !"

Ce soir, on lit Blanche-Neige (ouais, je sais, c'est pas le top du point de vue éducation non genrée...). Hobbit me dit "Je veux que la sorcière TUE Blanche-Neige !" Je lui demande pourquoi, bien étonnée, et il me répond avec désinvolture "Ben, ce serait marrant". Quelques jours avant, il voulait que le crocodile bouffe le capitaine Crochet. J'ai enfanté un psychopathe...

Hobbit a 3 ans et je viens delui dire que je suis enceinte. A l'école, un soir, je croise l'ATSEM.
"Ah, il vous a réclamée. Tu l'aimes, ta Maman, hein !
- Ben oui, il y a mon bébé dedans !"

En attrapant un truc sous l'escalier, je me cogne très fort la tête. Aïeuh ! Hobbit est inquiet : "Attention Maman, tu vas casser l'escalier !"

Préparation du programme du week-end :
"Tu veux aller visiter un musée ? Un zoo ? Un château ?
- Non, je veux aller chez AUCH*N !"

Je suis seule avec lui à la maison, et bien fatiguée. C'est l'heure du dodo. Je lui lis son histoire, je lui fais un gros câlin, et comme d'habitude il essaie de me retenir plus longtemps en discutant.
"Maman, tu vas faire quoi ?
- La vaisselle, mon chéri...
- Oh noooon ! Ne fais pas la vaisselle, va te coucher, plutôt !"
C'est tentant, ma foi...

Jour de déménagement. Hobbit tient à nous rappeler de ne pas oublier la télé.

Feuilletant un prospectus d'un magasin de jouets, il prend sa voiture fétiche Flash MacQueen dans la main, lui montre les images de produits dérivés Cars en lui disant : "Tu as vu ? C'est toi !"

Je rentre à la maison où il m'attendait avec son père. Je ramène le pain.
"Tu es allée à la bougie ?"

Hobbit fait des siennes, je n'en peux plus, je ne sais plus quoi faire. Je menace d'appeler Super Nanny (paix à son âme). Même pas peur, il m'apporte le téléphone.

J'ouvre devant lui un pot de glace, une première.
"C'est au chocolat ?
- Non, mon chéri, c'est à la vanille et aux noix de pécan.
- Mais ça fait mal, les piquants !"
Je le rassure et lui fait goûter. Grimace.
"Il faut la réchauffer !"

Premier labyrinthe dans un livret de jeux. Son père lui montre comment faire et trouve le chemin devant lui. Hobbit hoche la tête, approbateur :
"C'est bien, papa !"
Et il range son livret.

Merci à Dora, Diego, Manny et Kai Lan, hobbit me demande de lui montrer comment compter en anglais, espagnol,  et chinois. Jusque-là, tout va bien, j'ai dû réviser, mais c'est bon. Par contre, le jour où il m'a demandé de compter "en éléphant", j'ai pas su quoi dire. 
Le lendemain, j'ai réussi à savoir comment Dora compte "en éléphant" : "one elephant, two elephants..."

2 ans et demi, juste avant Noël. Il m'impressionne avec une phrase bien construite, incluant COD et COI parfaitement utilisés, plus une formule de politesse. Il ne manquait que la conjugaison du verbe. La phrase était : "Maman acheter un nouveau jouet à Hobbit, s'il te plait". Fichues pubs de Noël... 

C'est l'été de ses 2 ans, il fait chaud, hobbit n'aime pas ça. Je tente de lui expliquer que je n'y peux rien, c'est l'été, c'est comme ça. Alors, d'un ton de reproche, il s'écrie : "Maman, arrête l'été !"

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Après tout ça, s'il m'offre un collier de nouilles tout pourri, je le mettrai avec fierté, na !

vendredi 27 mai 2011

Refusons l'anti-féminisme mensonger

Avec les "petites phrases" assassines de Jack Lang et Jean-François Kahn, entre autres, on a cru avoir touché le fond. Maintenant on en trouve qui cherchent du pétrole.
Ce matin, le Monde nous a gratifié d'un point de vue d'une certaine Hélé Béji, écrivaine, intitulé "Refusons le féminisme victimaire".
Nous n'en sommes plus au temps où on cassait les féministes dès qu'elles ouvraient la bouche. Non, il y a les "bonnes féministes" (celles qui se battent pour les "vraies" causes, majoritairement les maltraitances à l'étranger, pas de ça chez nous, hein !), et les "mauvaises féministes" (celles qui n'acceptent même pas qu'on trousse tranquillement sa boniche). Les "mauvaises féministes" verraient toutes les femmes comme des victimes, et tous les hommes comme des agresseurs. Evidemment, quand on parle de ces "mauvaises féministes", on ne cite pas de noms, d'associations, de mouvements, ni d'ouvrages.


Hélé Béji dénonce le fait que DSK s'en prenne plein la tronche, alors qu'on n'est même pas sûrs qu'il soit bien coupables. Les féministes ne la contrediraient pas, puisqu'elles prennent soin, à chaque intervention, de préciser qu'on ne sait pas se qui s'est passé (par exemple, relisez l'appel contre le sexisme). Personnellement j'ai lu peu d'articles condamnant DSK : ce qui fait scandale, c'est le traitement médiatique de l'affaire, centré sur l'accusé et sous-entendant constamment que la victime n'est pas de bonne foi. Les femmes qui sont accusées, qui lui font "honte", restent anonyme. Autant les sorties de Lang, JFK et BHL ont été soigneusement citées par leurs détracteurs, autant Mme Béji ne cite personne. Cet article pourrait parler de sa concierge, il ne serait pas écrit différemment. En tout cas, je ne sais pas de qui elle parle.

"L'acharnement des médias, obsédés par le féminisme antisexiste, condamne les protagonistes du drame à une exhibition qui les place l'un comme l'autre sous une lumière obscène." Obsédés ? on ne doit pas consulter les mêmes médias. Et puis s'ils l'étaient, ce serait mal, le féminisme antisexisme (oh, le beau pléonasme !) ?
"L'inculpation de M. Strauss-Kahn lui promet plus de soixante-dix ans de cachot. Presque autant que pour un génocide !" Il semble que Mme Béji regrette qu'on punisse lourdement un viol. Serait-ce que le viol n'est pas si grave à ses yeux ? Allez, je lui prête des intentions qu'elle n'a peut-être pas, disons que la formulation est maladroite...
"Le diable, caché sous la beauté insolente des femmes, a changé de sexe, il n'est plus femelle, il est mâle, synonyme de satyre poilu, bouc difforme, bourreau des sexes." C'est vrai que le violeur est diabolisé, dans les médias. Mais seulement le violeur des parkings, le Grand Méchant Loup, si vous voulez. Le viol n'est médiatisé que s'il correspond à l'image fantasmée que les journaleux en ont, sinon c'est un "drame de la passion".
"Allons-nous, chaque fois qu'un homme cède au péché, nous transformer en Erinyes (déesses grecques de la vengeance) sans pitié ?" En disant qu'il a "cédé", on sous-entend que c'est pas de sa faute, que c'était une pulsion. De plus, parler de "péché" renvoie à la morale religieuse, celle qui est considérée comme entravant la liberté de jouir. L'auteure nous parlera plus loin du "Jugement Dernier", de "miséricorde", de "morale", de "siècles puritains". Mais il n'est pas question de liberté ni de puritanisme ici, il est question de viol, et le viol est un crime qui n'est pas dénoncé comme il devrait. Donc, oui, les féministes se transforment en Erinyes sans pitié lorsqu'un viol est avéré et que le coupable n'est pas condamné comme il le devrait. Si la petite dame veut se joindre à nous, elle est la bienvenue.
L'auteure nous parle de "race féminine", du "sexe fort", et du "propre de la femme". Serions-nous tombés sur une essentialiste ? "Il est naturel que l'émotion des femmes bénéficie d'abord à la victime." D'abord, on dit victime présumée, merci. Paille, poutre, toussa. Et puis je ne vois pas en quoi ça serait naturel pour une femme et pas pour un homme. Les humains se rangeraient-ils dans deux clans ? Va-t-on imprimer des T-shirts "Team agressor" et "Team victim" ? Serait-ce que l'auteure ne peut concevoir que les femmes puissent être solidaires des hommes (et vice-versa) ? Dans ce cas, c'est elle qui est victime des travers qu'elle dénonce, pas les hypothétiques féministes qu'elle est incapable de citer.

Les féministes veulent que les victimes de violences sexistes soient reconnues comme des victimes. Ceci est interprété comme une volonté de faire de toutes les femmes des victimes, et par conséquent de tous les hommes des coupables. L'accusation de misandrie n'est pas loin. 
Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre le racisme d'être anti-blanc ? Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre l'homophobie d'être anti-hétérosexuels ? Accuse-t-on quelqu'un qui lutte contre la discrimination dont souffrent les handicapés d'être anti-valide ?
Comment une femme misandre peut-elle vouloir l'égalité des sexes ? C'est viser bien bas...
Je ne dirai pas que je n'aime pas les hommes. Je ne dirai pas non plus que j'aime les hommes. J'aime les gens bien, hommes ou femmes. Pourquoi vouloir à toute force que les féministes mettent les gens dans des cases alors que c'est strictement ce que nous dénonçons ? Si lorsque je dis "je n'aime pas les machos", vous en déduisez que je n'aime pas les hommes, cela veux dire que vous considérez que tous les hommes sont des machos : vous êtes misandre, pas moi.

Le féminisme n'est pas ce "machisme à l'envers" où l'on présenterait tous les hommes comme des porcs et toutes les femmes comme des anges déchirés. Les détracteurs du féminisme pourraient avoir l'honnêteté intellectuelle de se renseigner sur le mouvement, avant de baver sur des concepts qu'ils n'ont pas compris.

mercredi 25 mai 2011

Le blues des intellos

J'ai longtemps hésité à publier ce billet. D'une part parce qu'il ne parle pas de DSK (désolée de parler d'autre chose !), d'autre part parce que j'ai peur qu'on pense que je me vante ou que je me lamente sur quelque chose qui n'est pas vraiment grave. Je le publie quand même en comptant sur votre compréhension, car il raconte des choses qui me minent depuis des années, et qui viennent de me péter à la gueule.


Mon fils aîné, le hobbit de presque 4 ans, a profité de mon congé maternité pour péter une durite. Il a bien vécu l'arrivée du petit frère, il n'a jamais montré de contrariété vis-à-vis de "son" bébé et il ne me reproche pas de moins m'occuper de lui (au contraire, si je laisse bébé pleurer plus de vingt secondes il m'engueule : mauvaise mère, va !). C'est ma présence à la maison qui a tout déclenché : il ne voulait plus aller à l'école, il voulait rester avec moi. Ca parait normal, qu'il préfère être à la maison avec Maman au lieu d'être à l'école. Mais sa réaction a été très violente, et au bout de quelques semaines j'ai compris qu'il s'agissait bien d'un rejet de l'école. Depuis mon retour au boulot ça va un peu mieux car il sait qu'il n'a pas le choix, mais son comportement reste difficile comme il l'est depuis la rentrée.


Quand je suis rentrée dans la salle de classe le jour de la rentrée en petite section, en septembre dernier, j'ai tout de suite vu que ça n'allait pas le faire. Les puzzle faciles, les activités pour petits, c'est des choses que mon hobbit maîtrisait depuis longtemps, vu que la nounou lui en avait fait faire (ben oui, il adorait ça !). J'ai rien dit, je ne voulais pas qu'il sente mon manque d'enthousiasme, mais j'ai eu peur qu'il s'ennuie. Je me suis dit qu'avec des copains et la maîtresse, il trouverait l'école chouette. J'ai vite déchanté.
Ca a commencé par des gestes violents envers ses camarades. Il courait partout, répondait à la maîtresse, n'écoutait que quand ça l'arrangeait (c'est-à-dire pas souvent). Pas un jour ne s'écoulait sans punition. Avec nous aussi il était impertinent, mais pas violent... Quand la maîtresse parlait de lui, on aurait cru qu'elle parlait d'un déliquant juvénile... J'ai fini par comprendre, en discutant avec les mamans du quartier, qu'elle était connue pour ne pas savoir gérer les enfants turbulents. "C'est l'arrivée du bébé qui le trouble", a-t-elle décidé, malgré les dénégations véhémentes du petit qui soutient adorer son petit frère. Côté scolaire, mon hobbit excelle dans les exercices intellectuels mais il est beaucoup moins doué dans les exercices de motricité fine. Il peut compter mais il écrit comme un sismographe islandais, il connait son alphabet mais n'arrive pas à rattraper une balle.

J'ai la chance d'avoir une voisine qui a deux enfants précoces chez elle. Elle a reconnu les traits caractéristiques de la précocité chez mon fils (les difficultés motrices sont aussi un signe : si j'ai bien compris, le cerveau ne contrôle pas bien le corps), et m'a conseillée d'être vigilante. C'est elle qui, la première, a utilisé ce mot que je ne connaissais pas, et la pédiatre puis la maîtresse ont suivi.
D'accord, ai-je pensé, mais maintenant je fais QUOI ? Je fais QUOI quand il se roule par terre pour pas aller à l'école ? Je fais QUOI quand il me dit que ses camarades se moquent de lui, le bousculent et l'insultent ? Je fais QUOI quand, sur le pas de la porte de l'école il me dit "je t'en supplie, Maman, ne m'abandonne pas" ? Je fais QUOI quand, malgré mes tentatives pour le rassurer, il affirme qu'il est "nul", qu'il est "méchant" ?
Google est ton ami. Chéri ne s'est pas laissé démonter, il a trouvé les coordonnées d'une association de parents d'enfants précoces, obtenu par eux l'adresse d'une psy spécialisée, pris rendez-vous pour un test de QI.
Le verdict est tombé vendredi dernier : mon hobbit est bien précoce. C'est un soulagement de pouvoir mettre un mot sur son désarroi. Je n'en suis pas fière, il est ce qu'il est ; je ne lui demande pas de cumuler deux doctorats, je veux juste qu'il soit heureux. Il est câblé cérébralement pour une bonne réussite scolaire, mais ce n'est pas ça qui fera de lui une personne de qualité. Mes diplômes ne font pas de moi une personne meilleure et je connais des gens qui ont bien réussi à l'école et restent des personnes détestables. Je connais aussi énormément de personnes admirables qui ont à peine le bac. Enfin, je parle de moi, mais je ne prétends pas être une ex-enfant précoce : je n'en sais rien, et je m'en fous. Ce que je sais, c'est qu'on m'a toujours classée dans la catégorie "intello" (à lunettes) avec les conséquences que ça implique. A l'école, j'en ai chié, à côté aussi d'ailleurs. J'espérais que mon fils ne vivrait pas ça, j'ai tout fait pour ne pas angoisser en l'emmenant à l'école et pour qu'il ne sente pas que j'avais peur (je me suis tellement bien blindée qu'il a refusé de me parler, au début, crant que je m'en foutais). Mais quand j'ai vu le score de mon hobbit au test de QI, quand il m'a raconté les attaques dont il était l'objet de la part de ses camarades dès la petite section, la petite bulle d'espoir que j'entretenais soigneusement a explosé.


La mode est aux personnages de nerds ou de geeks à la télé, on rigole de ces personnages asociaux et lunaires. Ils sont un peu perdus dans la vie mais finissent toujours par sauver le monde / trouver le coupable / coucher avec la jolie blonde. C'est pas vraiment comme ça dans la vraie vie, en tout cas c'est pas du tout comme ça que je l'ai vécu.

A l'école maternelle, à l'école élémentaire, on vous force à anonner pendant des heures des choses que vous maîtrisez depuis longtemps. Pas le droit d'aller plus vite, ça s'appelle de la discipline. Vous comprenez vite que l'instituteur-trice n'a pas envie de faire un effort pour vous offrir ce dont vous avez besoin. Vous gênez. Alors vous anonnez consciencieusement en espérant recevoir l'approbation des adultes.
Vous avez certaines difficultés à communiquer avec les enfants de votre classe. Les adultes parleraient de différence de maturité. Vous aimez passer du temps avec les plus grands, mais ceux-ci vous rejettent durement. La seule échappatoire, c'est de s'occuper des plus petits. Ils sont si contents qu'on leur accorde de l'attention !
Vous vous lancez avec enthousiasme dans les exercices de motricité, pour échouer lamentablement. Vous écrivez un texte dont vous êtes fier, on vous reproche votre écriture. Ces échecs sont soulignés par les enseignants à vos parents qui ont l'air de se demander ce qui ne va pas chez vous. C'est tellement simple, pourtant ! Vous ne comprenez pas ce qu'on vous explique, et l'incompréhension est une sensation avec laquelle vous n'êtes pas familier : vous paniquez. Votre corps sera votre ennemi pendant toute votre vie.

Au collège, au lycée, c'est pire. Quand vous réussissez à l'école, en particulier dans les matières scientifiques qui sont valorisées par la société, on vous jalouse, même si vous ne la ramenez pas. Quand vous lisez avec plaisir le livre que le prof de français vous a ordonné de lire, quand vous racontez que pendant vos vacances vous avez lu du Euripide sur la plage, vous êtes un extraterrestre, voire un lèche-cul. Quand vous proposez votre aide à un camarade juste pour être sympa, ça passe pour de la condescendance. Vous n'avez pas le droit d'aimer étudier, vous n'avez pas le droit d'aimer l'art et la littérature, vous n'avez pas le droit d'avoir de bonnes intentions.
Vous vous exprimez sans peine, et vous ne vous sentez pas limité par des tabous illogiques. Vous prenez volontiers du recul et aimez discourir de sujets sociaux, décortiquer les idées et placer les gens devant leurs contradictions, pour qu'ils abandonnent leurs idées reçues : la vérité est si belle ! Votre intransigeance intellectuelle passe pour de l'indélicatesse, voire de la méchanceté. Quand vous avez raison, on vous fait taire d'un "oh, toi, l'intello, hein !" Comme si c'était une insulte. Pourtant vous ne pouvez pas être autrement.
Le cours de sport est le pire moment de la semaine : les profs de sport vous laissent de côté avec un mépris à peine dissimulé, les nuls en maths se vengent de toutes les vexations qu'ils subissent (fort injustement, d'ailleurs, vous le reconnaissez !) en confondant votre appareil dentaire et la cage des buts, pendant que les surveillants font semblant de ne rien voir. Vous songez quelquefois à vous casser volontairement quelque chose pour éviter le cours de sport.
Toute la famille est fière de votre réussite scolaire mais vous, curieusement, en avez honte. Vous avez le sentiment confus de ne pas mériter leurs louanges, car les exercices et les devoirs ne sont pas si durs, surtout quand ils sont effectués avec plaisir. De toute manière, vous vivez un échec permanent dans un domaine qui parait pourtant être maîtrisé naturellement par tout le monde : se faire des amis... Et puis à côté, il y a ces enfants doués, mais surtout poussés par leurs parents, qui possèdent une culture générale bluffante tout en restant populaires auprès des autres. Vous vous sentez nul, vous avez le sentiment d'être un imposteur. C'est pour ça que vous ne vous plaignez pas aux surveillants des moqueries des autres : elles sont méritées. De toute manière, vous êtes certain que les surveillants ne vous aiment pas non plus et sont ravis de vous voir humilié.
Et ne parlons pas d'amour ! Comment plaire quand ce corps qui ne vous apporte nulle joie n'est pas mis en valeur par vos vêtements choisis pour leur confort ? Qui voudrait se taper une encyclopédie ?
Oui, c'est vrai, c'est une période difficile pour tout le monde, les enfants sont cruels... On n'a pas de droit de se plaindre, quand on est promis à un bel avenir !

Puis vous commencez vos études. On vous a orienté plus ou moins contre votre gré vers les sciences, et vous avez bien sûr cédé (je me place dans ce cas pour ne parler que de ce que je connais, les littéraires et autres sont les bienvenus en commentaires). Vous vous retrouvez avec des gens qui vous ressemblent. Vous vous renfermez, vous vivez avec eux dans une bulle, avec votre propre vocabulaire, vos petites blagues à vous. L'esprit de corps, ça s'appelle. Et si vous êtes un cas désespéré, même au sein du corps vous êtes toujours un extraterrestre : celui qui lit de la littérature russe entre deux cours de physique, celle qui apprend par coeur la solution du Rubik's Cube avant d'attaquer son devoir de maths. Mais comme on vous serine que vous êtes "l'élite de la nation" (elles est mal barrée, la nation !), que vous n'êtes pas trop mal classé aux concours que vous passez (quand votre habitude de vous considérer comme une merde ne vous paralyse pas), vous finissez par croire que vous allez avoir un bon job, du pognon, un PC avec plein de RAM, et que vous allez vous rapprocher du bonheur. Peut-être même que vous finirez par avoir des amis.
Ceux qui ne font pas d'études ou qui font des études dans des domaines moins prestigieux sont sur la défensive, avec vous. Ils semblent craindre qui vous ne tentiez de les regarder de haut. Pourtant, vous qui êtes incapable de tracer un trait droit à main levée crevez d'admiration devant la dextérité de votre coiffeuse.

Enfin, c'est le diplôme. Vous avez prévu de vous payer l'intégrale de votre auteur favori dans la Pléïade pour fêter votre premier salaire. Encore faut-il avoir un salaire. "Il y a toujours du boulot, pour les gens qui ont plein de diplômes comme toi !" qu'elle disait, Maman. Ben non. Vous avez bossé comme un dingue pendant 5-8-10 ans, vous avez laissé votre vie de côté pour assurer votre avenir, vous espériez une récompense... Bienvenue dans le monde réel !
Vous cherchez un job dans l'ingénierie ? Votre vous voyez comme un incompétent, et comme vous êtes franc, en entretien ça risque de se voir. Lorsque vous réussirez à intégrer une entreprise, vous réaliserez bien vite que la cafétéria ressemble à une cour d'école, avec des gens sympas, et les autres.
Vous êtes allé jusqu'au doctorat et vous cherchez un job dans le privé ? C'est bien connu, les docteurs sont tous des savants fous hyper spécialisés qui sont incapables de s'insérer dans un milieu d'entreprise. On ne prends même pas la peine de vous envoyer une lettre de refus quand vous envoyez un CV, Pôle Emploi vous prend pour un feignant.
Vous êtes allé jusqu'au doctorat et vous cherchez un poste académique ? Pauvre fou. Il y a un poste pour 40 candidats, et les élus ne sont pas les meilleurs, mais ceux que la politique des labos aura favorisé. Vous cumulerez les emplois précaires pendant 5 ans, et si vous décrochez finalement un poste, vous serez payé moins qu'un ingénieur avec une charge de travail écrasante. Le gouvernement, lui aussi, méprise les gens comme vous. On ose même vous dire que vous êtes à votre poste (précaire à 1200€ par mois) parce qu'"il y a de la lumière et c'est chauffé".
L'enchaînement de périodes de chômage et d'emplois précaires que vous traversez, alors que vos vieux camarades de classe (retrouvés par Facebook) ont trouvé des jobs en or super facilement, termine de vous convaincre que vous n'êtes qu'un âne. Vous avez plus d'amis sur internet que dans la vraie vie et vous contemplez leurs photos de famille et de fêtes sur votre fil d'actualités Facebook en mangeant de la glace achetée en hard discount. Se reconvertir pour s'en sortir ? Pour faire quoi ? Vous ne savez rien faire de vos dix doigts... D'ailleurs, si vous ne vous en sortez pas avec ce métier, c'est pas avec un autre que ça ira mieux.


J'ai eu du bol : j'ai trouvé rapidement l'homme de ma vie. Je l'ai épousé et nous avons eu deux magnifiques enfants. Je me suis sentie aimée et acceptée par ma famille proche, ça a compensé la sensation d'être rejetée que je ressentais autrefois. J'ai aussi des amis fantastiques, pas beaucoup, mais je ne les échangerais pas contre un groupe dix fois plus nombreux. Professionnellement j'ai traversé quelques galères, mais tout semble s'arranger aujourd'hui. J'ai vraiment pas à me plaindre, la période difficile est derrière moi.
Et juste quand je sors la tête de l'eau, quand j'arrive trouver un peu d'estime pour moi-même, quand je commence à digérer tout ça, je vois que tout recommence... mais pour mon fils. Evidemment, pour lui, ça se passera peut-être différemment, et puis je suis à ses côtés avec mon expérience. Mais ça me fait mal, tellement mal...
Je ne sais pas encore ce que je peux faire, mais des solutions doivent exister. Il y a des associations qui peuvent nous conseiller. Je ne pourrai pas protéger mon fils comme je le voudrais, il souffrira un jour ou l'autre, je dois m'y faire. Mais je vais me battre pour lui. J'ai jamais eu autant envie de me battre de toute ma vie.

Illustrations : quelques surdoués de la télé (dur de trouver des femmes !)
Lisa Simpson, des Simpson
Leonard Hofstadter et Sheldon Cooper, de Big Bang Theory
Malcolm, de Malcolm in the Middle
Timothy McGee, de NCIS
Samantha Carter, de Stargate : SG-1

samedi 21 mai 2011

Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent

Osez le Féminisme !, la Barbe et Paroles de Femmes ont lancé un appel aujourd'hui pour dénoncer les propos misogynes tenus par des personnages publicsen à propos de l'affaire DSK.

"Depuis une semaine, nous sommes abasourdies par le déferlement quotidien de propos misogynes tenus par des personnalités publiques, largement relayés sur nos écrans, postes de radios, lieux de travail comme sur les réseaux sociaux. Nous avons eu droit à un florilège de remarques sexistes, du "il n'y a pas mort d'homme" au "troussage de domestique" en passant par "c'est un tort d'aimer les femmes ?" ou les commentaires établissant un lien entre l'apparence physique des femmes, leur tenue vestimentaire et le comportement des hommes qu'elles croisent."

Le texte de l'appel a été relayé entre autres par le Monde et les Nouvelles News.
Il ne s'agit évidemment pas de faire fi de la présomption d'innocence à laquelle DSK a droit, mais de pointer du doigt les réactions misogynes sous-entendant que le viol n'est pas grave ou que la victime présumée l'aurait cherché.
J'ai bien sûr signé l'appel et je vous encourage chaleureusement à faire de même en remplissant le formulaire que vous trouverez en bas de cette page.

Les associations appellent également à un rassemblement dimanche 22 mai à 17h, à Paris, place Igor Stravinsky. J'espère que nous seront nombreux !

mercredi 11 mai 2011

Ces féministes mal baisées qui n'aiment pas le porno...

Dans un excellent billet, Daria Marx avoue ne pas aimer le porno : "Je n’aime pas le porno, parce qu’il ne m’excite pas. Il ne remplit pas, pour moi, sa fonction d’outil de masturbation, puisqu’il me suffit de 32 secondes pour jouir, si j’ai envie, mon corps répond assez bien, pas besoin d’autres stimulis. Il ne remplit pas non plus sa fonction d’outil fantasmatique, je n’ai pas trouvé de pornographie qui réponde à mon univers, qui enclenche quelque chose, qui me donne envie de réaliser dans la vraie vie, de passer à l’acte, de reproduire."
Le porno s'est tellement normalisé que ce billet prend la forme d'un "aveu". Ce qui était il y a encore quelques années considéré comme une perversion est présenté aujourd'hui comme le modèle à atteindre. On en vient à lire que le sexe est une monnaie d'échange dans le couple : "Et là, il ne s’agit pas simplement de s’envoyer en l’air pour éviter une dispute, ou assouvir les besoins de son conjoint, mais d’utiliser le sexe comme moyen de se vendre à l’autre en tant que partenaire de qualité." Le sexe est dépouillé de tout caractère affectif et intime, il devient un geste routinier dont la fréquence est un diagnostic de la santé du couple, une activité au cours de laquelle l'image qu'on donne prime sur le reste.
Car c'est bien d'image se soi et d'image qu'on donne qu'il s'agit. Il faut être de bonnes baiseuses et de bons baiseurs. Il faut appliquer la recette porno pour être satisfait sexuellement, cette satisfaction étant considérée comme essentielle à l'équilibre des individus. Même que c'est bon pour la santé (histoire de bien culpabiliser ceux qui ne le font que deux fois par semaine voire - horreur ! - moins).

Pourtant, il semble que baiser comme dans un porno ne permette pas d'atteindre cette fameuse satisfaction sexuelle (merci à @sexismscience pour le lien). Lorsque les femmes font attention à l'image qu'elles donnent pendant l'acte, elles n'en profitent pas. Les hommes recherchant cette image irréelle sont déçus.
En revanche, Brigitte Grésy cite dans le Petit traité contre le sexisme ordinaire une étude suisse ayant établi "que le féminisme rend les relations amoureuses plus harmonieuses et que les partenaires se considérant comme égaux sont plus heureux. "Les féministes sont sexy" est-il précisé, et les hommes "font clairement le lien entre le fait d'avoir une partenaire féministe et une relation plus stable ainsi qu'une plus grande satisfaction sexuelle."" Se considérer comme des égaux, se respecter l'un l'autre, se respecter soi-même permettrait d'atteindre une meilleure satisfaction sexuelle que lorsque l'un éjacule sur la tronche de l'autre. Je ne sais pas pour vous, mais moi je suis facilement convaincue.
En tout cas, ça devrait tordre le cou au vieux cliché de la féministe mal baisée. La féministe s'éclate au pieu (porno ou pas, selon ses goûts), son mec (pour une nuit ou pour la vie) aussi, et les deux vous saluent bien.

Pour ceux qui n'ont pas réussi à séduire une féministe, rassurez-vous. Ne pas parvenir à une totale totale satisfaction sexuelle ne vous rendra pas dingue.
Considérer la frustration sexuelle comme un drame est un délire d'enfant gâté : si votre grande douleur, dans la vie, est de ne pas pouvoir exprimer votre désir libidineux, vous êtes chanceux, vous n'avez jamais réellement souffert. Non, la frustration n'est pas grave, elle ne conduit pas à toutes les perversions, au viol et à la pédophilie. Non, elle n'excuse pas un homme qui passerait outre le consentement de sa compagne (le contraire non plus, d'ailleurs). Non, elle ne justifie pas le recours à une prostituée.

Illustrations :
Venus et Adonis, Rubens (~1630).
Vénus et Mars, Boucher (1754).

samedi 7 mai 2011

La langue, reflet de la société française

J'ai reçu pas mal d'appels à signer la pétition pour la réforme de la grammaire française intitulée "Que les hommes et les femmes soient belles !". Elle propose de remplacer la règle d'accord actuelle par la règle de proximité et elle est relayée entre autres chez Héloïse, chez Emelire, et sur Egalité. Je l'ai signée.

Le texte de la pétition rappelle que, dans la grammaire française, "Le masculin l'emporte sur le féminin". Et qu'on ne me parle pas de cette ânerie de "masculin neutre" qui sert à justifier cette règle avec une mauvaise foi effrayante : "En 1676, le père Bouhours, l'un des grammairiens qui a œuvré à ce que cette règle devienne exclusive de toute autre, la justifiait ainsi : «  lorsque les deux genres se rencontrent, il faut que le plus noble l'emporte. »"

Cette règle n'est pas sans effet dans notre société : "Cette règle de grammaire apprise dès l'enfance sur les bancs de l'école façonne un monde de représentations dans lequel le masculin est considéré comme supérieur au féminin". C'est à mon avis la raison la plus importante pour signer cette pétition. La société forme le langage : notre langue est le reflet de notre société, et la règle d'accord est un symptôme du patriarcat. Mais les jeunes esprits intègrent ces règles. Le langage contribue, avec bien d'autres choses, à donner une vision sexiste du monde aux enfants. Changer les règles du langage ne permettra pas de briser le patriarcat qui a des causes bien plus profondes, mais cela permettrait de poser un obstacle à sa reproduction. A un moment ou à un autre, il faut bien briser le cercle vicieux. On pourrait tirer la même conclusion du problème de la publicité sexiste, du faible nombre de femmes parmi les dirigeants...

Malgré cela, ma première réaction à cette pétition a été négative.
La langue fait partie de notre culture, de notre patrimoine, qu'elle nous plaise ou non.  Cette règle est un héritage de notre culture et notre culture est patriarcale. Si nous souhaitions expurger de notre culture tout ce qui est hérité du patriarcat, il faudrait brûler tous nos livres, détruire tous nos films... Je préfère largement éduquer les jeunes en expliquant d'où vient cette règle et ce que ça a d'injuste que remplacer la règle par une autre en faisant table rase du passé, comme si de rien n'était.
De plus, je crains la résistance de nos concitoyens qui tiennent à leurs repères culturels sans les remettre en question. Un réforme de la règle grammaticale rencontrerait trop de résistance et serait vécue comme arbitraire. Je pense qu'il est plus sage d'agir sur la langue par petites touches, en féminisant les noms de métiers en priorité. Puis, si la société parvenait enfin à se débarrasser du sexisme, la langue suivrait.

J'ai finalement signé quand j'ai relevé que la pétition ne demandait pas le remplacement de la règle actuelle mais l'ajout de la règle de proximité. Nous serions libres d'utiliser les deux. C'est une solution élégante. Même si personne n'utilise à l'avenir la règle de proximité, au moins la question du genre dans la langue, de son origine et de son effet sur les jeunes esprits aura été posée. Et si la société évolue dans le sens de l'égalité, la possibilité d'utiliser la langue de manière non sexiste existera.

mardi 3 mai 2011

Sur la pression à allaiter son bébé

Avant la naissance de mon petit lutin, je me suis demandé, comme toutes les futures mamans, si j'allais le nourrir au sein ou au biberon. Vu comme je me prenais la tête à me demander si j'allais réussir à allaiter, vu mon rapport à mon propre corps, vu mon histoire personnelle et familiale, j'ai résolument opté pour le biberon. C'était un choix fait en ayant bien pesé le pour et le contre, et sans influence extérieure autre que celle du papa. Je m'attendais à des pressions, à des critiques, et je me suis blindée en les attendant.

Mon choix étant fait, j'ai lu pas mal de témoignages de mères allaitantes en galère : peu ou pas d'explications, plein d'idées reçues, une pression de l'extérieur jugeant que l'allaitement est un esclavage... On dirait qu'on vous pousse à allaiter tout en faisant tout pour que ça foire, pour mieux vous culpabiliser après. Je crois me connaître plutôt bien, et je sais que tout ça m'aurait désespérée.
Quoi de plus naturel que mettre son enfant au sein ? Pourquoi emmerde-t-on autant les allaitantes ? Est-ce l'aspect naturel de la chose qui répugne ?

A la fin de ma grossesse, j'ai rencontré les sage-femmes de la maternité où j'allais accoucher. L'une d'elles, complétant mon dossier, m'a posé la question fatidique : "alors, il sera nourri au sein ou au biberon, ce bébé ?". J'ai pris ma voix la plus assurée pour répondre, et je me suis préparée à subir un discours moralisateur et/ou culpabilisant. Mais non, rien n'est venu. Pas un mot, pas de moue, pas de regard méprisant, elle est passée à la question suivante, tout naturellement.
Le jour J est (enfin !) arrivé et avec lui le premier biberon. Encore une fois, pas de jugement, pas de critique, pas même d'argumentaire, de la part de l'équipe géniale qui m'a aidée à accoucher. Je me suis donc détendue et j'ai baissé ma garde.
C'est justement à ce moment-là que j'ai eu la seule réaction négative que j'ai dûe affronter. Une sage-femme est venue m'examiner et m'a posé des questions sur l'état de mes seins. Je lui ai dit que j'avais des épanchements de colostrum depuis le début du second trimestre de ma grossesse, et j'ai eu droit à un "et avec ça, vous ne voulez pas allaiter ?" dit sur un ton bien méprisant et un regard accusateur. Je ne sais plus ce que je lui ai répondu mais j'ai dû avoir l'air peu commode, car elle n'est pas revenue à la charge. Elle a juste oublié de me donner mes petites pilules pour stopper la montée de lait (mais mon gynéco est intervenu avec exaspération).

A part cette unique fois, je ne me suis donc jamais sentie jugée. La pression à allaiter dont tout le monde parle, je l'ai à peine sentie. A peine car il semble que, pour les professionnels que j'ai vus, l'allaitement aille de soi.

J'ai opté pour l'hospitalisation à domicile. Après la visite de sortie du gynéco, des sage-femmes (toutes adorables) sont passées nous voir, bébé et moi, à la maison. Et à chaque visite, le gynéco comme les sage-femmes m'ont posé la même question :
- Avez-vous plus de contractions quand vous allaitez ?
- Bah euh, non, j'allaite pô.
- Ah bon."
Pas de discours moralisateur ni culpabilisant, pas de moue, pas de regard méprisant, juste un blanc pouvant signifier "pourquoi j'ai pas lu son dossier bordel". Et les professionnels ont enchaîné avec naturel et gentillesse sur l'inconfort lié aux montées de lait en me proposant des solution.
Rien de bien méchant, mais j'ai été très étonnée qu'on ne me demande pas si j'allaitais, mais comment ça se passait. Pourtant, j'ai jeté en lousdé un oeil sur les listings de la maternité quand j'y étais, une femme sur deux était au biberon. Je ne suis donc pas un cas unique. D'ailleurs, je n'ai pas pu trouver de statistiques à ce sujet, mais des messages glanés sur les forums prétendent que les bébés français sont majoritairement au biberon...

Quelques semaines plus tard, j'ai invité à la maison une jeune maman dont le fils aîné est dans la même classe que mon hobbit et dont le cadet de neuf mois porte le même nom que mon lutin. Son petit ayant visiblement faim, elle l'a mis au sein, tout en m'expliquant qu'elle avait allaité son premier jusqu'à un an et comptait en faire autant avec les second. Son regard était timide et elle avait l'air de s'excuser, comme si elle s'attendait à ce que je lui fasse la morale. Chose qui ne me serait même pas venue à l'esprit.

Je suis très contente de ne pas avoir subi de pression significative, et je tenais à dire que, dans mon cas du moins, je me suis sentie tout à fait libre de choisir et de nourir mon fils comme bon me semble. Finalement, j'ai l'impression que la pression qu'on dénonce n'est pas la bonne...


Illustrations :
Biberon cornet médiéval, constitué d'une corne de vache percée (source). Il y a plein de biberons marrants à voir sur la page wikipedia.
Elisabeth Taylor donnant le biberon à son bébé Liza Todd sous les yeux de ses fils Christopher et Michael H. Wilding, et son mari Michael Todd, photo de Toni Frissel, 1957 (source). Glamour !
La Charité Romaine, Rubens, 1612 (source). C'est l'histoire d'une fille qui donnait discrètement le sein à son père condamné à mourir de faim en prison. Cette générosité a ému le geôlier au point que le papa a été libéré.


dimanche 1 mai 2011

Séduction à la grecque

Il y a quelque temps, Euterpe a cité comme exemple dans un billet sur la résurection manquée la nymphe Eurydice. Ca m'a donné envie de m'intéresser aux figures féminines de la mythologie grecque.
J'ai toujours été passionnée par la mythologie grecque. Ces histoires sont si marquantes qu'elles font partie intégrante de notre culture. Avec les contes de fées, elles contribuent à nous construire. Les héroïnes en particulier sont fascinantes pour leur courage, leur dignité ou le pathétisme de leur situation. Et comme les contes de fées nous apprennent à considérer les femmes comme des êtres soumis et passifs dont le seul intérêt est de faire le ménage et de faire tapisserie, les mythes influencent notre vision des femmes.Etant donné la place des femmes dans la société grecque à l'époque, on n'est pas gâtées.

Parmi les figures féminines marquantes de la mythologie grecque, les plus célèbres sont sans doutes les amantes de Zeus, qui sont les mères de pas mal de héros. En parcourant leurs histoires, j'ai été frappée par la fréquence de l'apparition d'animaux dans le processus de séduction. Est-ce un fantasme des artistes ? Une métaphore ?

L'union de Zeus et Héra en est un bon exemple. Héra était, au départ, une déesse vierge et chaste. Son jeune frère, Zeus, qui était déjà connu pour être un sacré coureur, la convoitait. Evidemment, il s'est pris un râteau. Cela n'a pas suffi à le décourager. Il a fait pleuvoir et s'est transformé en coucou. Héra a ainsi trouvé sur son chemin un petit oiseau tout mouillé, tremblant de froid. Prise de pitié, elle l'a ramassé et l'a placé entre ses seins pour le réchauffer. Zeus a alors repris sa forme originelle et s'est uni à elle par force et par surprise. Honteuse d'avoir été abusée, elle a accepté de l'épouser. Avec des débuts pareils, faut pas s'étonner qu'elle ait été une épouse peu agréable.
Robert Graves (Les mythes grecs, Fayard, 1958) interprète le mythe à sa façon : "Elle est la Grande Désse préhellénique. [...] Le mariage forcé d'Héra avec Zeus commémore les conquêtes de la Crète et de la Grèce mycénienne - c'est-à-dire crétoise - et la fin de sa suprématie dans ces deux pays. Il se présenta à elle probablement sous l'aspect d'un coucou transi, ce qui signifie que certains Hellènes, qui étaient arrivés en Crète comme fugitifs, acceptèrent de servir dans la garde royale puis fomentèrent une révolution de palais et s'emparèrent du pouvoir. Cnossos fut mis à sac par deux fois - par les Hellènes semble-t-il - en 1700 avant J.-C. et en 1400 avant J.-C. environ ; Mycènes tomba aux mains des Achéens un siècle plus tard." Le viol comme métaphore de la conquête, la femme comme symbole d'une cité ou d'un pays, on a déjà vu ça quelque part. Rien à voir avec la fureur amoureuse qu'on essaie de nous vendre quelquefois, c'est bien de pouvoir qu'il s'agit.
La question de la force étant tranchée, reste la question de l'animal. Le choix du coucou n'est pas anodin : c'est l'oiseau qui entre par traîtrise dans un nid qui ne lui était pas, au départ, destiné. De plus, en le prenant entre ses seins, Héra lui offre un nid et s'ouvre à un rôle maternel qui n'était pas le sien. On voit  venir le beauf grec qui pense très fort qu'elle l'a cherché, surtout qu'elle l'a pris entre ses seins, ce qui est déjà un geste à connotation érotique.

Passons aux unions avec des mortelles.
Léda, par exemple, a été séduite par Zeus qui avait pris la forme d'un cygne. La même nuit, Léda a couché avec son mari, Tyndare (quelle nuit !). Neuf mois plus tard, Léda a accouché d'un oeuf (j'ose même pas imaginer l'accouchement) qui contenait Hélène et Pollux, enfants de Zeus, ainsi que Clytemnestre et Castor, enfants de Tyndare. La constellation du cygne est un hommage à cet événement.
J'ai parlé au départ des amantes de Zeus, mais on peut aussi citer Pasiphaé, dont l'histoire est plus glauque. L'épouse de Minos, le roi de Crète, n'avait rien demandé à personne. Minos, lui, avait demandé à Poséïdon de lui envoyer un taureau qu'il pourrait lui sacrifier. La bếte lui ayant été livrée, Minos la trouvait tellement belle qu'il a décidé de la garder pour lui. Poséïdon a donc voulu se venger. Les dieux ont une logique qu'on ne comprend pas toujours : c'est Pasiphaé qui a payé pour son mari. Elle est ainsi tombée amoureuse du taureau. Incapable de contenir sa passion, elle a demandé à l'architecte génial que Minos avait recruté, Dédale, de l'aider. L'architecte a construit, sur sa demande, une vache de bois dans laquelle Pasiphaé s'est glissée.
Comme Dédale était très doué, le taureau s'y est laissé prendre, bref, je ne vous fais pas un dessin, neuf mois plus tard Pasiphaé accouchait du Minotaure, le monstre à corps d'humain et à tête d'homme.
Je ne sais pas si on peut considérer un satyre comme un animal, vu qu'il s'agit d'une créature mi-homme mi-bouc (je ne sais pas ce que ça donne au niveau de l'odeur). Dans le doute, citons donc aussi Antiope qui a été séduite par Zeus transformé en satyre. Amphion et Zétos, les jumeaux nés de cette union étaient, coup de bol, physiquement normaux.

Sans aller jusqu'à la consommation d'une union zoophile, l'animal peut aussi servir à séduire la belle convoitée.Une princesse phénicienne, Europe, en a fait l'expérience. Alors qu'elle se baignait avec ses copines, Europe a vu s'approcher un magnifique taureau blanc qui n'était autre que Zeus métamorphosé. Le trouvant superbe et bien gentil, elle est montée sur son dos. L'animal est alors parti à la nage en pleine mer et l'a emmenée  jusqu'en Crète. Là, Zeus a repris sa forme originelle et a passé du bon temps avec elle sous un platane qui est depuis toujours vert et qu'on peut encore voir à Gortyne. Europe a mis au monde trois fils : Minos (le même gros malin que tout à l'heure), Rhadamanthe et Sarpédon.
Egine, fille du dieu-fleuve Asopos, a elle aussi été enlevée par Zeus sous la forme d'un animal. C'était, cette fois, un aigle, et Egine est devenue la mère d'Eaque, l'un des trois juges des Enfers avec Minos et Rhadamanthe, et ainsi l'ancêtre de Pélée, Télamon, Achille, Ajax et Teucer. Cette fois encore, Robert Graves assimile l'enlèvement d'Egine à la prise d'une ville, Phlionte, située à l'embouchure de l'Asopos.

Veut-on nous faire croire que les femmes grecques étaient des grosses perverses attirées par les bestiaux ? Je ne crois pas. Chez les Grecs, en particulier les Athéniens qui nous ont laissé pas mal d'écrits, les femmes ne comptent tout simplement pas. Peu importe de savoir si elles ont véritablement désiré ces unions, leur avis et leur désir n'est même pas secondaire. Les femmes ne sont que des créatures à l'humanité incomplète, encore un peu animales, encore un peu plantes, encore un peu minérales (les multiples Métamorphoses relevées par Ovide en témoignent). L'animal, émanation divine représentant les forces naturelles dans ce qu'elles ont de pur et de sacré, permet de souligner la fonction maternelle du corps féminin.

Cet aspect naturel est aussi suggéré par deux cas plus poétiques d'unions de Zeus : Danaé, la mère de Persée, qui a été fécondée par Zeus sous la forme d'une pluie d'or, et Io, son ancêtre, que Zeus a rencontrée sous la forme d'une nuée. Ce ne sont pas des formes animales mais des phénomènes météorologiques, chose logique pour le dieu qui règne sur les cieux, qui ont été choisies. Le rapport avec la pluie qui permet aux plantes de naître de la terre est souligné par Robert Graves qui interprète l'épisode de la pluie d'or "comme une allégorie pastorale : "l'eau est d'or" pour le berger grec et Zeus envoie des pluies d'orage sur la terre-Danaé".

Voilà, à mon avis, le sens de la vision des femmes chez les Grecs anciens : pas tout à fait humaine, investie par les forces de la Nature qui lui confère la maternité, moyen d'expression de la puissance divine qui donne la vie. Dominer la femme, c'est dominer la nature ; adorer l'essence féminine, c'est adorer les principes naturels. La séduire, c'est la conquérir comme on prend possession d'une terre, d'une ville, d'un pays. Mais la nature est traîtresse : sécheresse, inondations, tremblements de terre détruisent bâtiments et récoltes, et condamnent à la misère : la méfiance est de rigueur.
Les activités humaines, la pensée, l'intelligence, l'art, sont inaccessibles aux femmes dont l'âme est inaboutie. Par la passion qu'elles suscitent chez les hommes, elles les relient à leur origine terrestre tout en le empêchant d'atteindre le ciel. Elles sont une plaie nécessaire, le symbole de tout ce qui est beau et redoutable, et résument le tragique de la condition humaine.


Illustrations :
Métope du temple de Héra à Sélinonte, représentant Héra et Zeus.
Léda et le Cygne, Cesare da Sesto d'après Léonard de Vinci, 1515-1520.
Jupiter et Antiope, Ingres, 1851.
Le rapt d'Europe, Titien, 1559-1562.
Danaé, Titien, 1553-1554.