lundi 25 avril 2011

Amitiés impossibles et amours obligatoires

Mon fils aîné, du haut de ses trois ans et demi, a une grande amie. Mademoiselle a à peu près le même caractère que lui, la même propension à parler tout le temps, le même refus de l'autorité à l'école comme à la maison. Ils sont dans la même classe et nous sommes voisins, ce qui leur permet d'évoluer dans un univers commun. Mademoiselle est en outre la seule fille de la classe qui ne se laisse pas faire par mon fils qui aimerait tout diriger et elle ne se gêne pas pour lui coller un taquet quand il faut le remettre à sa place. Ils jouent ensemble, ils se font des civilités et des politesses, ils ont de longues conversations et partent dans des délires auxquels je ne comprends rien (ça y est, ça commence, elle est larguée, la vieille !). Ils imitent nos comportement d'adulte comme d'adorables caricatures miniatures.
Je suis contente que ces deux-là ce soient trouvés, c'est important, à cet âge, de se faire des amis. A l'école et au centre de loisirs comme dans le voisinage, tout le monde a remarqué cette solide amitié. Tout le monde l'encourage et la regarde mûrir avec affection. En revanche, tout le monde utilise, pour parler des ces deux enfants, le vocabulaire désignant plutôt un couple. Et quand je râle, je passe pour une maman jalouse.
Evidemment, que je ne suis pas prête à laisser mon fils se caser, il n'a que trois ans ! Il n'a qu'une idée confuse de la manière dont naissent les bébés, il ne se doute pas qu'on puisse embrasser avec la langue, et déjà on lui parle de "petite copine".
On entend souvent que l'amitié est impossible entre un homme et une femme. Il parait que la question du désir se pose systématiquement, qu'il y a forcément des ambiguïtés, comme si nous étions des animaux incapables de communiquer et de passer du temps ensemble sans que l'un aie envie de se frotter contre la jambe de l'autre. Ces enfants si jeunes qui ne connaissent pas le désir, on les traite déjà comme des adolescents, on leur interdit d'être amis avec l'autre sexe, on construit un barrière entre eux à coups de mots et de plaisanteries navrantes.

Les clichés sexistes régulent non seulement ce que notre comportement mais aussi les rapports d'un sexe à l'autre. Nous sommes tenus d'être séducteurs et séductrice en permanence, au point qu'il nous est impossible de considérer l'autre sexe comme autre chose qu'une conquête potentielle.
Et avec les homosexuels ? On s'étonne alors que l'amitié soit possible...

C'est peut-être parce que l'amitié est un rapport d'égal à égal : une amitié sincère entre un homme et une femme remet en cause le patriarcat... Quelle tristesse de voir ce deux petits anges entraînés malgré eux, malgré leur âge tendre et innocent, dans ce système abject...


Illustration : L'Amour et Psyche, enfants, William-Adolphe Bouguereau, 1890.

jeudi 21 avril 2011

Comment fabriquer une femme ? - Manuel à l'usage des mères - 2. L'enfance

Mieux vaut tard que jamais, voici la seconde partie du Manuel. Pour l'introduction, cliquez ici, pour la première partie, cliquez .

A. Forger son caractère
Il vous appartient d'encourager votre fille à afficher les qualités appréciées chez une femme comme de réprimer sévèrement ses tentatives dans le mauvais sens.

L'intérêt pour les animaux, les plantes et la nature en général doit être encouragé. La nature lui donnera le goût de la contemplation et de la passivité face à l'Homme bâtisseur.
Il ne faut pas, en revanche, la laisser s'adonner à des jeux d'extérieur bruyants et turbulents. Elle doit plutôt être orientée vers les jeux créatifs et activités artistiques qui lui apprendront le soin, la minutie, et la douceur. Ces activités se pratiquent dans le calme, ce qui lui apprendra à rester posée comme il se doit. Elle requièrent un sérieux qui doit lui être inculqué tôt. Un femme, en effet, n'a pas le temps de se distraire, entre son travail et les soins portés à la maison et la famille, et il vaut mieux qu'elle apprenne à se passer de détente.
La lecture, enfin, doit être fortement encouragée, non seulement en tant qu'activité calme et sérieuse, mais aussi pour travailler ses capacités dans l'expression écrite. La tenue d'un journal en est le corollaire.  Une femme, en effet, doit savoir s'exprimer avec aisance, tant à l'oral qu'à l'écrit, pour animer les conversations lors des dîners.

Les théories freudiennes veulent les femmes frustrées par l'absence de pénis. On peut interpréter cela de manière imagée : l'enfance est le moment où la petite fille découvre qu'un monde lui est interdit, celui des garçons, de l'action et de la domination. Elle doit intérioriser cet état de fait, sa frustration la motivant pour tenter tous les jours d'atteindre l'idéal féminin ; être une femme idéale lui ouvrirait des portes, croira-t-elle. Son échec inévitable entretiendra sa frustration. C'est l'entrée dans ce mécanisme que vous devez faciliter, en lui interdisant les activités masculines et en l'encourageant vers les activités féminines, tout en lui inculquant une échelle de valeurs qui lui donnera honte de sa féminité. Par exemple encouragez-la à s'exprimer oralement, tout en lui reprochant d'être bavarde.

B. L'acquisition du savoir-faire
Les jeux d'imitation qui pullulent dans les pages des catalogues de jouets pour les filles de 6 à 10 ans sont les alliés des mamans dans l'apprentissage d'un savoir-faire de mère et de ménagère. Transformer ce qu'on considère communément comme une corvée en une activité ludique la lui rendra désirable. Il est enfin important que ces activités lui paraissent naturelles et qu'elle les effectue par réflexe, sans que son mari aie à s'en soucier.
Les jeux de marchande lui permettront de se familiariser avec la rude tâche des courses : prévoir ce qu'il faut acheter en fonction des besoins de la famille, acheter les quantités utiles, savoir choisir ses produits, vous le savez, ça ne s'improvise pas. N'hésitez pas à entrer dans le jeu avec elle ou à la faire participer à vos courses réelles.
L'achat d'accessoires de cuisine est indispensable. Les accessoires sponsorisés par des grandes marques ont quelque chose de valorisant : elle aura vraiment l'impression de faire "comme une grande", que son jeu est pris au sérieux. Des accessoires de pâtisserie réels adaptés aux mains des enfants lui permettront de concrétiser le jeu.
Des jouets pour faire le ménage ou le repassage existent aussi. Il convient d'en user avec discrétion car votre entourage comprend forcément une personne qui s'arrogera le droit de critiquer l'achat de ce type de jouets. Entendre de telles critiques risque de pousser votre fille à remettre en cause son destin de ménagère et de l'encourager vers une voie où la maternité n'est qu'un rôle secondaire.
Les panoplies de docteur ne sont pas à craindre. Il suffit de dire à votre fille que la carrière de docteur est très difficile, que les études pour y arriver sont très longues, et que ce n'est pas l'idéal pour une fille, pour qu'elle s'en détourne. Les jouets médicaux sont utiles pour l'habituer à prendre soin des autres. Il faut en particulier l'encourager à soigner son poupon.

C. L'apprentissage de la sexualité
Votre fille ne doit pas seulement être une bonne mère, mais aussi une bonne épouse provoquant le désir de son mari et le satisfaisant avec enthousiasme.
Les contes des fées, dont elle sera friande grâce à vos efforts pour l'intéresser à la lecture, se chargeront de la première partie de son éducation sexuelle. Ils vous permettront d'aborder à mots couverts l'amour et de lui imposer, avant même la découverte de ses premiers émois, une vision consensuelle de la sensualité.
Blanche-Neige et la Belle au Bois Dormant sont éveillées et faites femmes par un baiser du Prince Charmant, Cendrillon (image de droite : illustration de Gustave Doré de 1867) ne vaut rien si elle n'est pas rendue séduisante par artifice, La Belle tolère les imperfections de la Bête et le séduit par ses vertus, Le Petit Chaperon Rouge est victime du Loup auquel elle a imprudemment adressé la parole. Toutes ces histoires lui apprendront l'importance de la passivité, de la beauté et de fidélité. Elle apprendra aussi que le danger rôde pour les jeunes filles, et qu'il lui appartient de veiller à son intégrité physique.
Les contes lui enseigneront l'importance d'être belle pour plaire à l'homme qui l'aura choisie. Les poupées du type Barbie (à gauche, Barbie porte une robe Louboutin) lui donneront un idéal de beauté la poussant à mettre en valeur ses formes et à affiner sa taille. Poupées mannequin et têtes à coiffer font leur apparition dans la vie de votre fille pour l'entraîner. Les accessoires pour faire "comme maman" (petits sacs à main, maquillage...) lui permettent de s'entraîner. Pour parfaire son éducation, vous pouvez lui procurer du maquillage et des sous-vêtements rembourrés dès 8 ans. Ceci l'habituera à attirer le regard des hommes.
Tous les compliments que vous lui ferez doivent l'encourager à plaire. Vous la trouverez jolie, charmante, coquine, mais peu importe qu'elle soit intelligente, spirituelle ou bien inspirée artistiquement. Créer, inventer ou produire quelque chose ne doit pas lui valoir vos louanges, mais vous lui montrerez qu'elle doit être belle et être agréable à voir. Ce qui importe n'est pas ce qu'elle fait, mais ce qu'elle est, ce n'est pas ce qu'elle produit, mais ce qu'elle inspire. Son corps compte plus que son esprit et c'est de celui-ci seulement qu'elle doit s'occuper.


vendredi 15 avril 2011

Top cheffe

Quelle est la différence entre un cuisinier et une cuisinière ?
Un cuisinier, c'est un type dont le métier est de faire la cuisine. C'est un métier noble et exigeant.
Une cuisinière, c'est un appareil électroménager.

C'est marrant, tout de même, dans les familles, ce sont en majorité les femmes qui font la bouffe, mais quand ça devient sérieux, professionnel, ça devient un truc de mâles.

Heureusement, la profession se féminise. Et cette année, les deux finalistes de l'émission Top Chef étaient des femmes. Comble du bonheur, elles ont été présentées comme des pros et non comme des gonzesses arrivistes, mesquines et leur physique n'a pas été mis en avant.

Le hasard a voulu que je revoie Ratatouille juste après la finale de Top Chef. J'adore les films de Pixar et Ratatouille est un de mes favoris (il a contribué à me donner envie de me mettre à la cuisine). Je n'ai jamais été objective avec ce film, et je n'avais pas remarqué, jusqu'alors, à quel point le personnage de Colette était stéréotypé. Au contraire, elle exerce un métier d'hommes et fait de la moto, ça a suffi à me convaincre. Mais les clichés se glissent partout. On dénonce souvent les stéréotypes sexistes dans les livres pour enfant et les magazines, mais les dessins animés sont gratinés aussi.
Colette est jolie, d'abord. Sa première apparition charme le héros. Son tablier seyant épouse ses formes en bouteille de Coca toutes droites issues des fantasmes d'un geek de chez Pixar.
Mais elle n'est pas commode. Lors de sa première discussion avec le héros, elle est terriblement agressive. "Combien de femmes tu vois ici ? Je suis la seule !" Colette a réussi parce qu'elle a une volonté de fer et qu'elle a travaillé dur. On est en plein dans le bon vieux cliché qui veut qu'une femme ne peut réussir dans un métier d'hommes sans être une harpye arriviste. Son caractère est souligné par le fait qu'elle soit motarde.
Colette forme le héros : forcément, l'éducation est affaire de femmes ! Elle avoue être bavarde : lorsque le héros la remercie pour ses conseils, elle lui répond "merci de m'avoir écoutée !".
Pire que tout, lorsque le héros l'embrasse de force, elle se défend mollement pour finalement céder. Ce baiser imposé lui révèle ce qu'elle voulait "vraiment"...
Enfin, Colette ne sait pas créer. Elle ne fait que reproduire "au mot près" les recettes du chef Gusteau (un homme, forcément), sans s'autoriser la moindre fantaisie. Lorsque le héros improvise, elle s'oppose à lui avant de l'accompagner comme une bonne petite compagne. Elle défend la mémoire de Gusteau, au contraire du chef nain dont je ne me rappelle jamais le nom, transmet les habitudes et traditions du métier, mais n'apporte rien d'autre qu'un savoir-faire appris pas coeur.

Bon, ce n'est pas le seul cliché du film. Pourquoi toutes les bagnoles du film sont-elles antédiluviennes alors que la moto rutilante de Colette prouve que la scène a lieu au XXIème siècle ?

Ce film a quand même du bon, quelque part : mon hobbit est fou de cuisine, il ne voit pas ça comme un truc de filles. On passe de super moments à faire des pizzas et des gâteaux, tous les deux !

jeudi 14 avril 2011

Ah, si j'étais un homme...

Ce billet ne concerne que moi. Je ne dis pas que tous les hommes sont comme ça, mais qu'avoir grandi dans un système patriarcal aurait probablement forgé chez moi une telle personnalité.

Si j'étais un homme, je profiterais tant que possible des avantages que mon sexe me confère, mais en m'arrangeant pour que ça ne se voie pas trop.

Si j'étais un homme, j'aurais un job à responsabilités, prenant, et bien payé. Je participerais à des réunions tard le soir sans me plaindre. Je serais aimable et paternel avec ma secrétaire et avec les petites stagiaires. Je recruterais des femmes en emploi précaire histoire d'avoir des femmes dans le service (c'est plus joli, c'est plus aimable et ça sert le café), et des hommes en CDI (ils s'investissent plus). Ayant lu dans un journal gratuit que les femmes assument 80% des tâches domestiques, j'éviterais de confier aux femmes des tâches importantes. Je trouverais que ce partage des tâches est injuste et ne repose sur aucune loi naturelle, mais puisque les familles fonctionnent comme ça, j'adapterais ma gestion du personnel en conséquence. J'exposerais mes raisons en public et personne ne me contredirait. Ceci m'éviterait d'avoir à travailler d'égal à égal avec une femme, ou, pire, sous ses ordres : je pourrais considérer les femmes avec lesquelles je travaille comme des inférieures.

Si j'étais un homme, j'aurais beaucoup d'humour. Je ferais des blagues dès que possible, avec esprit et à-propos. Evidemment, on ne fait pas de blagues sans se moquer de certaines catégories de la population. Je ne ferais pas de blagues racistes devant un Noir ou un Arabe, mais curieusement, je pourrais faire des blagues sexistes devant les femmes, ça ne gêne personne. 
A vrai dire, une femme aurait protesté une fois, je lui aurais rétorqué que c'était à prendre au second degré, que si on ne faisait pas ce genre de blagues, on ne ferait plus de blagues du tout, et puis j'aurais haussé les épaules, sachant bien que tout le monde était d'accord avec moi, apprécierait de m'entendre et qu'elle passerait, désormais, pour une rabat-joie mal baisée. Je pourrai ainsi me mettre en valeur à ses dépends.

Si j'étais un homme, je serais marié et fidèle. Ma femme aurait un emploi moins payé que le mien, ce qui paraitrait normal à tout le monde. Son niveau d'études serait inférieur au mien, et elle exercerait dans un domaine reconnu comme féminin (éducation, social...). Elle assumerait, bien sûr, la majeure partie des tâches ménagères, parce qu'elle travaillerait moins que moi, parce qu'elle ramènerait moins d'argent à la maison, parce qu'elle aurait le réflexe de les effectuer avant moi, et les exécuterait bien mieux que moi.
De temps en temps, je passerais l'aspirateur et le ferais soigneusement remarquer à tout le monde. Je passerais ainsi pour un homme moderne qui accomplit sa part des tâches et on m'encenserait pour ça (surtout ma mère qui n'aurait pas eu cette chance). Ma femme se féliciterait se m'avoir. Elle se sentirait, de plus, valorisée par ma confiance, car je lui abandonnerais tout pouvoir de décision en ce qui concerne la tenue de la maison. Ca me permettrait de ne pas me prendre la tête à la maison.

Si j'étais un homme, je m'occuperais bien de mes enfants, quand mon emploi me le permettrait. Je serais un père avec lequel on peut jouer, rire, inventif et plein de fantaisie. Je serais aussi une figure d'autorité. Complice avec mes enfants, je me moquerais volontiers de leur mère, entretenant ainsi chez eux un léger mépris pour elle. Elle aurait du mal à se faire respecter et culpabiliserait, en particulier lorsque les enfants afficheraient un comportement irréprochable en ma présence. En effet, les enfants me voyant peu seraient profondément désireux de me plaire et de susciter mon approbation.
J'éviterais les corvées avec les enfants, changer les couches quand ils ont fait caca, les gronder pour les broutilles, leur faire prendre les bains et se laver les mains. Je n'interviendrais dans les cas extrêmes, et je serais efficace. Je jouirais du désarroi et de l'admiration de ma femme qui ne pourrait se passer de moi.

Si j'étais un homme, je me payerais le luxe de mépriser les femmes qui ne collent pas à l'idéal inatteignable que je me serais bâti. Les bavardes, les geignardes, les silencieuses, celles qui couchent trop, celles qui ne couchent pas assez, les pas assez jolies, les trop jolies, les grosses, les maigres, les intelligentes, les stupides... Toutes seraient la cible de petites remarques blessantes et de blagues pas toujours très subtiles visant à leur rappeler leur imperfection. En fait, n'étant pas des hommes, elles sont forcément ratées.
Quant à ma mère, je l'adulerais pour ses qualités et la haïrais pour ses défauts. Je lui paierai tribut de mon admiration pour m'avoir amené sur Terre, je le ferai payer par mon mépris pour ne pas m'avoir fait dieu. Mes manquements et mes faiblesses seront sa responsabilité, jamais la mienne. 

Si j'étais un homme, je ne tromperais pas ma femme pour ne pas risquer de la perdre, car je dépendrais d'elle pour tenir la maison. D'ailleurs, j'aurais bien conscience que j'aurais peu de chances, en cas de divorce, d'obtenir la garde des enfants, et je ne me gênerais pas pour rappeler à tout le monde cette inégalité aux dépends des hommes. En revanche, je regarderai les femmes avec une insistance assumée, car les posséder par le regard et me dire que je pourrais, si je voulais, les obtenir, me procurerait une satisfaction dont je refuserais de me passer. J'aurais, en outre, l'impression de leur faire un compliment en les regardant, de rendre hommage à leur beauté ; je serais persuadé que les jolies femmes ne sont là que pour me charmer et qu'elles prennent plaisir à être vues (sinon, elles se cacheraient, non ?).
J'aurais une sexualité tout à fait épanouie avec ma femme. Elle se mettrait en quatre pour me satisfaire et me serait reconnaissante de toutes mes attentions, sachant bien que peu d'hommes en font autant. Je jouerais à la faire jouir et serais fier du résultat. De toute manière, en cas d'échec, elle culpabiliserait, pas moi.
Dans ma jeunesse, je serais allé aux putes quelquefois. La première fois pour essayer et faire le malin devant les copains, la deuxième fois parce que j'aurais trouvé ça agréable et excitant, mais à partir de la troisième fois, la tristesse des étreintes sans tendresse, où l'on cherche par l'intensité des ébats à compenser l'absence de sentiment, où la domination est un piètre substitut à l'amour, m'aurait lassé. J'en aurais gardé un léger mépris (teinté d'une légère honte d'avoir cédé) pour les clients, une croyance absolue en l'existence d'une misère sexuelle contraignant les clients à avoir recours aux prostituées malgré l'insatisfaction à laquelle ils sont condamnés, et une opinion bien tranchée pour la réouverture des maisons closes (où l'on peut baiser au chaud) et contre la pénalisation des clients (car punir les clients reviendrait à dire que j'ai commis un viol, chose que je prendrais comme une insulte, m'accrochant à l'illusion de la pute libre et consentante comme un bulot à son rocher).

Si j'étais un homme, je serais un bon vivant, qui mange bien, boit bien, et apprécie les femmes. Je serais gaulois et cultivé à la fois, accrochant dans mon salon des reproductions de toiles de maître présentant des femelles dénudées, écoutant des chansons vantant les femmes (Julien Clerc, Michel Sardou, Renaud...), admirant le talent des bonnes actrices (Angelina Jolie ? Un grand talent. Bonnet D, au moins).
Le faible nombre de femmes artistes célèbres aurait ancré en moi l'idée qu'une femme ne peut être créatrice. Elle peut être inspiratrice, muse, modèle, mais elle ne peut que reproduire en non produire. Comme Galatée, elle est façonnée de la main de l'homme pour meubler son univers, mais elle ne sera jamais Pygmalion.
Je ne croirais pas, cependant, que les femmes sont trop sujettes à leurs hormones pour être fiables et mener à bien un raisonnement. Au contraire, je saurais les femmes capables des mêmes performances intellectuelles que les hommes mais en sont empêchées par le doute que leur éducation à installé en elles. Leur incapacité à rejeter ce conditionnement nourrirait mon mépris à leur égard.

Si j'étais un homme, je jouirais tant de me sentir supérieur aux femmes que je serais incapable de remettre en question mes préjugés. Mais je suis une femme, et j'ai tant souffert de me sentir inférieure que j'ai dû chercher la vérité de ma nature et cesser de me conformer aux clichés. 
Finalement, c'est une bonne chose que je sois née femme.


Illustrations :
Affiche "Coup de pouce du vivier" photographiée à Châtenay-Malabry par Olympe (lire son billet)
Détournement "Léa Passion corvée de chiottes" par Emelire (lire son billet)
Henry Robert Morland,
Une femme lavant son linge
Auguste de Châtillon,
Victor Hugo et son fils François-Victor
Carlo Dolci,
Madonna
Henri de Toulouse-Lautrec,
Moulin Rouge : La Goulue
Jean-Léon Gérôme,
Pygmalion et Galatée

lundi 11 avril 2011

Les filles des 343 salopes

Après le nouveau manifeste lancé par Osez le Féminisme !, une nouvelle initiative se réclame de l'événement original.
Tout a commencé avec un manifeste signé "les filles des 343 salopes" et intitulé IVG : je vais bien, merci. L'idée ? Rappeler que l'accès à l'IVG est de plus en plus difficile en France et que les femmes qui font le choix d'avorter sont encore violemment stigmatisées.

"Le droit à l'IVG est menacé : en pratique, par la casse méthodique du service public hospitalier, et dans les discours, car l'avortement est régulièrement présenté comme un drame dont on ne se remet pas, un traumatisme systématique."

Devant le succès du manifeste, un blog a été ouvert. Il permet aux femmes souhaitant témoigner sur leur expérience de l'avortement de le faire. J'en ai lu quelques-uns, ça bouleverse, ça fait réfléchir. Pour celles qui en parlent, l'avortement n'est pas un traumatisme, mais là façon dont le corps médical les a traitées, oui.

Il est temps d'en parler, pour que l'on sache, enfin, ce qu'il en est de l'avortement dans notre pays. Avant de juger, il faut oublier ce qu'on croit savoir et écouter celles qui en ont fait l'expérience. La propagande soi-disant "pro-vie" qui menace de tous les maux les femmes qui avortent doit être combattue par la vérité.

D'autres blogs relayent l'appel des filles des 343 :
Une liste plus complète est disponible sur le blog.

J'en profite pour vous signaler ce savoureux billet de Mademoiselle sur l'accès à l'IVG et la culpabilisation dont les femmes sont victimes.

Bonne lecture !

samedi 9 avril 2011

Le lest qu'on lâche

Je disais il y a deux jours que le sexisme ne naissait pas de la misère, il est universel. Mais il faut bien reconnaître que la misère favorise l'expression de formes extrêmes du sexisme.

Olympe a relevé, dans un article du Figaro sur les migrants arrivant à Lampedusa, un tout petit paragraphe sur lequel le journaliste n'a pas insisté mais qui est tout de même lourd de sens : "Tous, exclusivement des hommes jeunes, plutôt pauvres et rarement francophones, racontent la même histoire. Comme Tarek, 20 ans, parti il y a vingt jours de Kairouan. «Nous étions entassés à 150 dans un bateau prévu pour 60, explique le garçon. Au cours du trajet pour Lampedusa, douze filles ont été jetées à la mer."
Douze filles tuées dans des conditions épouvantables. Une phrase, puis silence radio. Douze vies valent-elles si peu ?

A ce propos, dans les commentaires du billet d'Olympe, cultive ton jardin propose un lien vers le site de MSF qui relève que ce genre d'événement n'est pas exceptionnel. Elle rappelle aussi que le sujet a (brillamment à mon avis) été développé par Marie N'Diaye dans Trois Femmes Puissantes à travers le personnage de Khady Demba. A part dans ce livre, je n'avais jamais entendu parler de ce phénomène. Pourtant, ça n'a rien de surprenant, quand on y pense. Quand l'argent manque, quand le danger guette, le groupe sacrifie les femmes. Petites filles recevant moins de nourriture et de soins médicaux que leurs frères, mères mourant en couches fautes de soins, inertie des autorités face aux violences (je pense, en rédigeant cette liste, aux violences dénoncées dans Le Livre Noir de la Condition des Femmes)... Même en France, l'argent public est plus dépensé dans des activités profitant aux garçons qu'aux filles. Ces choix ne sont pas forcément conscients, mais le résultat est là. Nous sommes le lest qu'on lâche lorsque l'homme ne parvient pas à atteindre le ciel.



Illustration parue dans le
Journal des Dames et des Modes en 1797, accompagnant l'article intitulé Rapport sur le premier voyage aérien du Citoyen Garnerin avec la Citoyenne Henri.

jeudi 7 avril 2011

Le sexisme n'est pas l'apanage du pauvre

Ca ne prend qu'une ligne dans ma page de statistiques, mais c'est énorme : "Au moins 60 millions de filles sont "manquantes" dans de nombreuses populations, la plupart en Asie, en conséquence d'avortements sélectifs, infanticides et négligences." Deux pays sont particulièrement touchés : la Chine, où la politique de l'enfant unique fait des ravages, et l'Inde, où la naissance d'une fille est une catastrophe pour les familles qui peineront toute leur vie à rassembler sa dot.
Sur le sujet, dans les médias, c'est silence radio, sauf quand il s'agit de souligner que les hommes, dans ces pays, ont du mal à se marier.

Le site Egalité vient de publier un article sur le dernier recensement en Inde : "Les premiers résultats du recensement national de l’Inde, qui viennent de paraître, ont confirmé les craintes : le déséquilibre chronique entre les sexes s’est aggravé en dix ans." En cause, les avortements sélectifs : "Les avortements basés sur le sexe du bébé sont certes interdits, mais la pression sociale exercée sur les femmes pour engendrer des garçons est la plus forte, et les familles trouvent des alliées objectives dans les milliers de cliniques privées qui ont fait de l’avortement sélectif une activité fort lucrative."
Jusque-là, rien de nouveau. Et rien ne bouge.

On imagine le couple de paysans du Punjab qui vient d'apprendre que l'enfant que la femme porte est une fille. Dans sa maisonnette propre mais exigüe, elle soupire, contemple les meubles achetés avec sa dot, (leur seules possessions) et hoche la tête quand son mari lui tend le dépliant d'une clinique que son voisin lui avait donné, au cas où. Elle ira demain, sans savoir que sa fille aurait pu avoir un tout autre destin.

Ah, comme il est tentant de peindre un tableau à la Zola, de dire "c'est pas de leur faute, ils n'ont pas le choix, c'est la misère" ! Mais non : "On pourra toujours dénoncer une pratique obscurantiste, liée à la pauvreté et à l’ignorance. Mais il n’en est rien. La sociologie de l’élimination prénatale montre qu’elle est plus élevée dans les régions riches (Punjab, Haryana, Delhi, Maharashtra…) que dans les régions pauvres, plus élevée dans les villes que dans les campagnes, plus élevée dans la classe moyenne que parmi les classes populaires et plus élevée dans les hautes castes que parmi les basses castes. En un mot, le rejet des filles est plus important parmi les classes moyennes émergentes, ces groupes sociaux urbains, éduqués et tournés vers le monde, qui bénéficient à plein du développement économique, mais qui pratiquent aussi les dots les plus élevées." Ce sont donc ceux qui peuvent payer la dot qui préfèrent garder leur part du gâteau.

La violence sexiste n'est pas le résultat de la misère, du désespoir et de l'ignorance. Dans le cas des violences conjugales, par exemple, toutes les catégories socio-professionnelles sont touchées : il n'y a pas que les chômeurs (forcément alcooliques) et les ouvriers (forcément ignorants) qui battent leurs femmes, les cadres supérieurs le font aussi. Le sexisme n'est pas l'apanage du pauvre.

On imagine, avec simplisme et condescendance, que le pauvre n'est qu'un abruti qui n'a pas été fichu de décrocher un diplôme, que ça le rend malheureux, qu'il se sent faible, diminué, frustré, et qu'il se défoule sur sa femme. Si en plus il vit dans un pays en voie de développement (chez les arriérés, quoi), il va se laisser fanatiser par les religieux et appliquer les coutumes sans réfléchir, quitte à faire souffrir sa famille (d'ailleurs, il est persuadé que c'est pour leur bien, cet idiot).
Mais on n'imagine pas aussi facilement qu'on peut être pauvre et intelligent, pauvre et heureux, riche et stupide, riche et malheureux. Pourtant ça existe.

La violence sexiste touche toutes les classes sociales. La réduire à un dérapage de désespéré, dire que ses auteurs ne sont que des imbéciles ou des psychopathes minimise le phénomène et évite de se poser des questions. On se dit "je ne suis pas désespéré ça ne me concerne pas, je ne suis ni auteur, ni victime", et on peut continuer à frissonner devant le journal télé. C'est dans cette inconscience que le système sexiste se reproduit de génération en génération.

Illustrations : 
Sex ratio en Chine, forum SCPO
Sex ratio en Inde, CAIRN.info
George Wesley Bellows,
Drunk Father, 1923 ou 1924

dimanche 3 avril 2011

Les nouvelles salopes


Hier, en une de Libé on pouvait lire "Le retour des 343 salopes".
Ce titre tapageur annonçait en fait un nouveau manifeste, rédigé à l'initiative de l'association Osez le Féminisme !, signé par 343 femmes et réclamant "l'égalité maintenant".
On en parle chez Sandrine Goldschmidt, sur push(s), sur les Nouvelles News... Si elles reconnaissent que le contenu du manifeste est incontestablement pertinent, Sandrine Goldschmidt et Isabelle Germain émettent des réserves quant cette action. Et je partage totalement ces réserves.

Le manifeste rappelle l'état des lieux accablant de l'égalité hommes-femmes en France : "Nous touchons des salaires ou des retraites largement inférieurs à ceux des hommes. Nous assumons l’immense majorité des tâches ménagères. Nous sommes continuellement renvoyées à la sphère privée : notre corps, notre apparence, notre fonction éventuelle de mère. Beaucoup d'entre nous, parce qu'elles vivent en milieu rural, dans des quartiers défavorisés ou parce que les hôpitaux ferment, n'ont toujours pas accès à la contraception ou à l'avortement, libres et gratuits. Les portes des responsabilités politiques, économiques ou culturelles nous sont pour la plupart fermées. 75 000 d’entre nous sont violées chaque année en France et une d’entre nous meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon." C'est toujours bon de le rappeler, même si je pense qu'utiliser les termes "largement inférieurs", "immense majorité", "beaucoup", et "pour la plupart" à la place de chiffres factuels n'est pas convainquant : pour déboulonner les idées reçues, seule une logique irréprochable basée sur des faits établis de manière incontestable peut être efficace. Quant aux chiffres qui sont cités, ils le sont sans source... Comment répondre à ceux qui prétendraient qu'ils sont inventés ou que les études ont été réalisées de manière contestable ? Je suis certaine que les masculinistes ne vont pas se gêner pour tacler les féministes là-dessus.
Il expose ensuite les revendications des signataires : "Nous voulons atteindre l'égalité femmes - hommes dans les têtes et dans les faits. Nous exigeons aujourd’hui que nos droits fondamentaux deviennent réalité. Des mesures doivent être prises rapidement pour garantir l’égalité dans l’emploi, en faisant reculer la précarité du travail des femmes et en imposant l’égalité salariale. Il est temps de prévoir une éducation dès le plus jeune âge pour comprendre et remettre en cause les mécanismes de domination. Nous demandons que chaque femme puisse accéder à une contraception libre et gratuite, puisse avorter dans de bonnes conditions, être mère si elle en fait le choix. Il faut en finir avec les violences sexistes qui pèsent sur chacune d’entre nous." D'accord avec tout ça. Mais concrètement, comment on fait ? Pourtant, les idées et les projets concrets, c'est pas ça qui manque...

Mais ce qui me dérange le plus, c'est l'utilisation du manifeste des 343 (précisons que le terme "salopes", bien qu'assumé par OLF, semble être l'initiative de Libé). De la même manière que j'ai reproché à Ni Putes Ni Soumises de ne pas s'inscrire dans l'histoire du féminisme, je reproche à OLF de trop s'en servir.
Le contexte n'est absolument pas le même qu'en 1971. A l'époque, il fallait lutter contre une loi injuste. On avait besoin d'une transgression violente pour faire réaliser au grand public comme aux autorités et au législateur que les choses devaient bouger. Il fallait lutter contre le pouvoir autant que contre les stéréotypes.
Aujourd'hui la loi est plutôt de notre côté. Elle est perfectible et elle doit être perfectionnée (ne serait-ce qu'en ce qui concerne la prostitution), mais nous avons des droits. L'objet de la lutte de 2011 est de détruire les stéréotypes, pour que les lois soient appliquées : pour que les femmes victimes cessent d'être culpabilisées et puissent porter plainte, pour que les magistrats les entendent, pour que les agresseurs réalisent la gravité de leurs actes, pour que les blagueurs comprennent et assument les conséquences de leurs vannes sexistes. Contre des croyances, la violence verbale et la transgression sont, à mon avis, contre-productifs ; la cible de ce discours a plus de chances de se braquer et de se fermer au message porté. Nous devons lutter contre la persuasion par la conviction, et c'est la pédagogie qui sera la plus efficace. J'admets que c'est frustrant : il n'est pas normal qu'il incombe toujours aux victimes de devoir faire des efforts pour convaincre, au lieu de pouvoir imposer à ceux qui profitent ou reproduisent bêtement le système sexiste de prendre leurs responsabilités, mais l'opinion publique n'est pas encore assez mûre pour qu'une action choc puisse déclencher une évolution spontanée.

Bon, c'est facile de râler contre les actions effectuées quand on reste les fesses bien calées dans son fauteuil avec son pécé sur les genoux. Il vaut mieux une action imparfaite que l'inaction ! Donc, finalement, je me réjouis que cette action aie été menée et j'attends avec impatience la suivante (surtout qu'elle va toucher un sujet qui m'est cher, a priori...).