samedi 20 février 2010

Comment énerver à la fois un macho et une féministe ?

Un grand bravo au Service d'Information du Gouvernement (SIG) qui a enfin réussi à mettre tout le monde d'accord avec cette affiche présentant Marianne, exceptionnellement toute de blanc vêtue, enceinte, pour promouvoir le grand emprunt de l'Etat :


D'après Thierry Saussez, le directeur du SIG cité par le Monde, il s'agit d'un "très beau symbole d'avenir.

Evidemment, les Socialistes sont choqués : l'UMP en profiterait pour faire sa pub avec des deniers publics. La réponse du SIG, toujours citée par le Monde, est un bel exemple de renvoyage de balle politique à base de "céluikia commencé" et de "ceçuikidiki y est". Bref, rien de nouveau à Paris de ce côté-là, et merci au PS de répondre à côté de la plaque, une fois n'est pas coutume (euh... quoique...).

Pourquoi cette image serait-elle choquante ? La couleur, peut-être ?
Marianne en cloque est toute blanche, pure comme une idole. Il s'agit de souligner que l'emprunt, comme la maternité, c'est beau, envoyez des sioux (plein !).
Mon canard mondial préféré cite alors une historienne, Marie Lavin (en écorchant son nom de famille au passage et la qualifiant exclusivement de "bloggeuse", ça fait crédible, hein), qui compare le bonnet blanc sur cette affiche à un "bonnet de douche" et rappelle qu'historiquement, Marianne, en tant que symbole républicain, porte un bonnet rouge et une cocarde. L'historienne conclut brillamment par : "Le choix du blanc, couleur associée à la France monarchique depuis Louis XIII et encore plus depuis que Louis XVIII restaura le drapeau blanc en 1814, ne peut en aucun cas être anodin, l'absence du moindre insigne tricolore me semble révélateur, soit de la volonté d'escamoter la République (seulement évoquée au bas de l'image par le logo officiel) au profit d'une France « moderne » décomplexée, dégagée des encombrantes valeurs démocratiques, soit d'une méconnaissance absolue de notre Histoire. "
Je penche personnellement pour la seconde hypothèse. Le scandale de la Princesse de Clèves illustre bien l'importance que revêtent la culture et la connaissance aux yeux de notre gouvernement. Il s'agit d'un pur coup de marketing, qui joue joyeusement avec les codes sans rien remettre en question, sans trop y réfléchir d'ailleurs : Marianne n'est ici "ni trop belle, ni trop laide", pour que toutes les femmes puissent s'y identifier, qu'elle ne rebute ni ne charme personne, au contraire de ses représentations traditionnelles qui reproduisent les traits des plus jolies Françaises. Cette affiche n'a pour vocation que de vendre un produit, d'endormir notre méfiance, pas de passer un message obscur.

Les symboles républicains ne se bornent pas à la couleur : l'identité même de Marianne est importante. D'après une sémiologue, Marianne est pure : "Moitié Athéna, moitié Jeanne d'Arc, c'est une figure d'amazone vierge et protectrice de la cité. Elle n'est pas censée être mère". Il y a confusion de codes ! Voilà qui doit faire rager les phallocrates, ceux qui déversent leur fierté au visage de Marianne l'intouchable, l'inviolable, porteuse de leur orgueil.
Dans un système patriarcal comme le nôtre, la Femme a le choix entre deux destins : être une cochonne ou être une maman (je pense ne rien apprendre à personne ici). Le mieux est d'être les deux en même temps mais pas avec les mêmes personnes (cochonne avec son mari, maman avec les autres) ; toujours jolie, charmante, policée. Ces caractères figés qu'on nous impose sont propices à l'allégorie (Simone de Beauvoir parlait d'aliénation), pour exprimer nos attentes vis-à-vis de notre univers.
Notre pays, nous le rêvons imprenable, doux, consolateur, inspirateur. Marianne représente à merveille ce fantasme, elle se doit d'exalter nos cœurs, d'accueillir l'étranger vertueux, mais elle ne se laisse pas séduire par le premier venu ! Elle ne se donne à personne, c'est nous qui nous donnons à elle.
Une mère est forcément déchue, quelque part. C'est une vierge qui s'est laissée conquérir, son corps est abîmé, déformé, le temps l'atteint et l'amour qu'elle donne à son enfant a quelque chose d'exclusif et de dangereux. Marianne ne saurait porter ce masque.

Le livre d'Elisabeth Badinter a remis le féminisme au goût du jour (il a au moins ce mérite, et il faut en profiter car ça ne va pas durer longtemps !). Le Monde offre au féminisme la même crédibilité que la plupart de nos concitoyens, et cite une... bloggeuse encore : "La main de l'Etat n'a rien à faire dans mon utérus, et certainement pas y chercher de l'argent !". Cette savoureuse sortie (merci le Monde pour m'avoir filé l'adresse de ce blog book(re)markable) associée aux commentaires très rafraîchissant suivant le billet en question, résume ce qui énerve les féministe : non seulement l'emploi de codes surranés et nauséabonds (qu'on les mélange, les tripatouille, les repeigne en blanc ou en vert ne les rend pas moins glauques), mais aussi l'utilisation d'un être humain exploité comme argument de vente. Les symboles féminins, même utilisés de manière positive, restent un carcan intolérable.

On nous a promis un effort contre les violences sexistes cette année, le gouvernement devrait commencer par ne plus promouvoir ni légitimer ce système mortel (je vous ressors les statistiques ?) en cessant d'utiliser nos corps pour vendre.
Mon ventre n'est pas un panneau publicitaire, pas plus que mon cul.